Un jour de folie
Johannesburg -- Ça s’est terminé par une journée de folie, à l’issue d’une agitation grandissante d’étudiants sud-africains manifestant contre la hausse des frais de scolarité.
L’université voulait rester ouverte, les manifestants voulaient qu’elle ferme, l’atmosphère était électrique et la police déployée en force.
En bref, la recette idéale pour le chaos. Et c’est exactement ce qui est arrivé.
Ces manifestations n’avaient rien de nouveau. Elles avaient fait reculer le pouvoir l’an dernier, avec l’annonce d’un gel de toute hausse pour 2016.
Elles ont repris quand le gouvernement a annoncé que pour 2017 chaque université déciderait de la hausse à appliquer.
La participation au mouvement était moins forte que l’an dernier, mais les manifestants n’en étaient pas moins déterminés à obtenir gain de cause.
A cause de l’apartheid la culture de la contestation, particulièrement étudiante, est incontournable dans l’histoire sud-africaine. Il est donc très intéressant de voir comment cette culture évolue.
Les manifestations de l’an dernier ont trouvé leur symbole avec la photo d’une responsable du mouvement étudiant, une jeune femme du nom de Nompendula Mkhatswa, marchant les bras dressés en l’air. Elle a incarné le mouvement à travers les réseaux sociaux.
Quand on couvre un évènement similaire on cherche alors une image aussi forte. Et dans ce jour de folie quelques unes se sont imposées.
Mais d’abord, quelques éléments pour comprendre. Après des semaines de manifestations, l’Université Witwatersrand, l’une des plus prestigieuses, à Johannesburg, a annoncé la réouverture de ses portes. Elle était sous pression pour le faire, car avec une année scolaire commençant en janvier et se terminant par un grand examen en décembre, l’automne est un moment crucial pour les étudiants. Et sans examen, pas de diplôme.
Nous avions donc d’un côté une université encourageant ses étudiants à se mettre au travail et de l’autre une opposition minoritaire à la reprise des cours.
L’établissement avait tenu une consultation dans laquelle une très petite partie des étudiants s’était prononcée pour sa fermeture. Mais leur détermination était très forte. Selon eux la hausse des frais d’étude empêcherait les plus pauvres d’accéder à l’éducation supérieure.
Et bien entendu il y avait une forte présence policière. La recette parfaite pour que la situation dégénère. La police est intervenue à sa façon habituelle et les étudiants n’ont pas été en reste, avec des poursuites en tous sens et des jets de pierres et de briques.
Trois images ressortent de cette journée.
Dans l’une un policier trébuche sur une marche et un manifestant essaie de lui envoyer un coup de pied à la tête. Dans le cadre à gauche et au même moment, on voit un tir de balle en caoutchouc à bout portant. Et pour clore le tout, un tir de grenade assourdissante colore la scène d’un léger jaune. C’est plutôt rare de capturer trois évènements dans une seule image.
Un deuxième moment a été ce manifestant offrant des fleurs à un policier. En prenant l’image tout photographe pense alors à cet instant capturé par Marc Riboud lors des manifestations contre le Vietnam à la fin des années 60. La comparaison est inévitable.
La dernière image est celle de ces jeunes femmes qui ont enlevé chemise et soutien-gorge et s’avancent poitrines nues vers les policiers en les suppliant de cesser leurs tirs de balles en caoutchouc. Dans la culture africaine c’est un geste très fort parce qu’on n’expose pas ainsi sa nudité.
C’est une scène difficile à capturer parce que la nudité des sujets ne doit pas prendre le dessus sur le message qu’elles portent.
Sinon, pour couvrir une journée comme celle-ci, que ce soit à Johannesburg, Libreville ou Gaza, on applique toujours les mêmes règles. Etre bien attentif à tout ce qui se passe autour de vous, évaluer correctement la nature et le niveau des risques. Entre les pierres qui volent, les balles caoutchouc qui sifflent et les gaz lacrymogènes, il faut faire attention à soi et à ses collègues.
Il faut aussi être très concentré parce que sinon vous pouvez rater une image importante.
Ce sont des instants très brefs, comme cette photo d’un policier agrippant un manifestant par sa chemise et qui, se sentant encerclé, porte la main au pistolet accroché à sa ceinture.
Ce détail de l’image en dit finalement très long sur la tension qui régnait ce jour là.
Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit par Pierre Célérier.