L'acteur britannique Daniel Craig lors de l'avant-première de "Spectre", 24ème opus de James Bond 007, le 26 octobre 2015 à Londres (AFP / Leon Neal)

Mon nom est Bond, le photographe Bond

LONDRES, 29 octobre 2015 - Pour qui sait bien regarder, les similitudes sautent aux yeux: l'amour de l'aventure, le style impeccable, la fascination pour les gadgets, des femmes en adoration partout. Il est clair que James Bond est un photographe de presse en puissance. Il est même probable qu'il rêve de le devenir.

Enfin, c'est ce que je me dis en quittant mon domicile ce lundi soir pour aller couvrir l'avant-première mondiale de Spectre, le 24ème opus de ses aventures.

Je détecte de la jalousie dans le regard que me lance Daniel Craig. Certes, il se montre aux côtés de Kate et William, le duc et la duchesse de Cambridge. Mais ce n'est là qu'une consolation bien éphémère. Car il sait bien qu'il manque quelque chose à sa vie. Oh oui il le sait, me dis-je.

Dans le cadre grandiose du Royal Albert Hall, dans le centre de Londres, la soirée se déroule dans le plus pur style 007, avec des invités et des journalistes revêtus de leurs plus beaux atours pour être à la hauteur de l'événement.

Un selfie avec l'agent 007 (AFP / Leon Neal)

Si certains dans le clan des photographes n'ont apparemment pas été correctement briefés sur les us et coutumes des tapis rouges et ne savent pas ce que l'expression "black tie" signifie sur un carton d'invitation, j'ai revêtu pour ma part le costume que j'ai acheté en solde et un nœud papillon. Si on ne se met pas sur son trente-et-un pour une avant-première de James Bond, alors quand-est-ce qu'on peut le faire?

Du lourd

Pour un photographe de l'AFP à Londres, couvrir des avant-premières de films fait partie du job. Mais comme ce n'est pas non plus quelque chose que je fais au quotidien, je trouve ça plutôt intéressant, en particulier quand c'est important. Et un James Bond, c'est du lourd.

L'actrice française Léa Seydoux, "James Bond Girl" dans Spectre (AFP / Leon Neal)

Les organisateurs effectuent deux ou trois tirages au sort pour définir la position de chaque photographe accrédité dans l'espace qui leur est alloué le long du tapis rouge. Puis chacun se place, en sachant que la position la plus recherchée est au niveau du sol, face à l'un des "arrêts" prédéterminés que doivent observer les stars.

Tirage au sort défavorable

Pour moi, les choses démarrent mal. Le tirage au sort ne m'est pas vraiment favorable. Relégué dans un coin étroit au niveau de la troisième rangée, me balançant sur l'un de ces petits escabeaux en plastique que nous avons l'habitude de transbahuter avec nous pour pouvoir nous surélever au-dessus des têtes de nos collègues des premiers rangs, je suis loin de la position idéale pour faire les meilleures photos.

Une fois en place, on nous donne la liste des invités attendus. Ces listes sont parfois assez fantaisistes, lorsque l'agence de relation publiques cherche à attirer les médias à tout prix. Heureusement, avec un Bond, on a l'assurance de voir des personnes intéressantes et de satisfaire ainsi clients et employeurs.

Stars à moteur

Suivant une tradition récente, l'avant-première de 007 est organisée loin du quartier londonien des cinémas de Leicester Square, dans l'immense Royal Albert Hall, où les producteurs ont toute la place qu'il faut pour déployer une mise en scène grandiose.

Le Royal Albert Hall décoré pour l'avant-première de "Spectre" (AFP / Leon Neal)

Les multiples écrans installés montrent des images du film tandis qu'un masque mexicain gigantesque représentant une tête de mort coiffe le bâtiment circulaire. Les "stars à moteur" - dont une Rolls Royce Silver Wraith 1948 et l'Aston Martin DB10 du film - sont également là. Alignés par centaines derrière les barrières, les fans acclament les célébrités qui défilent.

Le discours policé de l'agent 007

Malgré les rumeurs et déclarations suggérant qu'il en a assez d'endosser le costume du plus célèbre espion de sa majesté, Daniel Craig tient un discours très policé pendant les interviews qu'il accorde devant le caméras sur le tapis rouge, et refuse de répondre à toute question sur son avenir dans le rôle.

(AFP / Leon Neal)

Mais je connais son secret. Ces regards qu'il adresse au barrage de flashs aveuglants ne sont pas le moins du monde blasés ou obliques. C'est juste, pour lui, une occasion unique de lorgner nos sacs pleins d'appareils photo et tout notre attirail.

N'importe qui peut tirer avec un pistolet à quinze coups mais ce regard en dit long: "Oh, si je pouvais seulement tirer une rafale de fichiers NEF ou JPEG avec un Nikon D4S..."

Mais au fil de la soirée, tandis que les stars posent seules, à deux, à trois... je commence à me dire que finalement, James Bond est peut-être content d'être exactement là où il est. Pas pour les fans ou les chasseurs d'autographes, ni pour le succès mondial. Mais peut-être parce que s'il flâne dans un smoking bien ajusté avec une belle femme à son bras, c'est qu'il a fini par accepter le fait qu'il ne deviendra jamais photographe de presse.

James Bond et ses co-vedettes Léa Seydoux et Monica Bellucci (AFP / Leon Neal)

Oui, c'est ça. Après toutes ces années de combats et de courses-poursuites, ses jambes ne sont plus ce qu'elles étaient. Son sens de l'équilibre doit aussi commencer à payer le prix de toutes les vodka martini ingurgitées, ce qui n'est pas un atout lorsque l'on doit faire des photos dans des conditions de lumière faible ou tenir un zoom de 400 mm qui ressemble à un petit télescope et pèse plus de quatre kilos et demi.

Le tapis rouge libéré des stars de cinéma est ensuite prêt à accueillir les invités royaux.

Le trio royal Harry, William et Kate passe devant les photographes sans leur adresser un regard (AFP / Leon Neal)

Des flashs de lumière bleue à l'horizon annoncent la police qui leur libère le passage. Le prince Harry se joint à William et Kate et les photographes qui ne suivent que la famille royale se positionnent à leur tour.

Mais le trio ne nous accorde pas un regard, et nous tourne même le dos tandis qu'il est accueilli par le réalisateur Sam Mendes et le reste de la famille Bond. Puis tous s'éloignent, plongés dans une intense conversation. Pour nous, c'est fini.

Tout en rangeant mes appareils et en enfilant mes bottes de moto pour rentrer dans mon deux pièces, je ne peux qu'imaginer les horreurs de l'after-party auxquelles Daniel Craig sera confronté et qu'on taxe de soi-disant "glamour". 

Ah, comme j'aimerais être James Bond...

Leon Neal est photographe pour l'AFP à Londres. Suivez-le sur Twitter et visitez son blog personnel. Cet article a été traduit par Ouerdya Aït Abdelmalek à Londres (lisez la version originale en anglais).

Pendant la promotion de 'Spectre' à Rome, en février 2015 (AFP / Tiziana Fabi)
Leon Neal