Cannes au smartphone
CANNES (France), 22 mai 2015 – C’est mon dixième Festival de Cannes, ma mission préférée de l’année. A chaque édition je tente de nouvelles expériences, je m’efforce de porter un regard différent. Le festival n’est jamais une routine pour moi.
Cette année, j’ai choisi de couvrir l’événement avec mon téléphone portable, en marge de la production « classique » sur la montée des marches, les « photo calls » etc. que je réalise quotidiennement pour l’AFP pendant ces deux semaines. J’avais déjà un peu fait l’expérience l’an dernier, mais cette fois j’y fais vraiment à fond.
Je suis persuadé que la photographie au smartphone, c’est la photographie de demain. Robert Doisneau saisissait ses fantastiques scènes de rue en baissant la tête pour regarder le viseur de son Rolleiflex. Avec un téléphone, c’est un peu le même principe : on n’a pas l’œil collé sur le viseur, on n’agresse pas son sujet en braquant sur lui un énorme reflex, on a l’air innocent et décontracté. La plupart des gens ne savent pas encore qu’on peut faire de superbes photographies professionnelles avec un téléphone.
C’est aussi un appareil léger qu’on peut toujours avoir dans sa poche et sortir rapidement. Il permet de saisir toute la spontanéité d’une scène en profitant au maximum de l’effet de surprise. A Nice, où je suis basé, je passe des heures à prendre des photos avec mon téléphone sur la Promenade des Anglais, un spot formidable, où il se passe toujours quelque chose.
J’utilise un iPhone 5 et Hiptstamatic, une application qui imite à la perfection les objectifs des anciens appareils photo et les différents types de films argentiques d’autrefois. D’autres photojournalistes de l’AFP en sont des adeptes réguliers, comme Patrick Baz, qui a récemment fait une série en Hipstamatic sur le porte-avions français Charles de Gaulle. L’AFP juge en général que les filtres utilisés par ce type d’application sont trop déformants pour être compatibles avec ses critères en matière de photojournalisme. Mais elle accepte quand même, dans certaines occasions particulières, de publier ce genre d’images alternatives, tout en les séparant clairement de sa production habituelle.
Je choisis toujours le même « objectif » (John S) et le même « film » (BlacKeys Supergrain). Ce type de photo carrée en noir et blanc se prête particulièrement bien au glamour de Cannes. Elle restitue l’esprit des années soixante ou soixante-dix, quand les photographes couvraient le festival au Rolleiflex. Elle me permet de rejoindre le style de mes photographes préférés, comme Emanuele Scorcelletti ou Richard Dumas.
Je me fais plaisir, mais c’est compliqué. Lors d’un « photo call » à l’extérieur avec une vedette mondiale comme Jane Fonda ou une grande actrice qui se livre rarement aux objectifs comme Catherine Deneuve, on est au milieu de deux cents photographes pour seulement quelques minutes de pose. Il n’est pas question de se mettre à jouer avec son téléphone. Cannes est le plus gros événement du monde du cinéma et la moindre seconde d’inattention peut être fatale. Tu ne peux pas te permettre de rater une photo qui va faire la une de tous les journaux le lendemain et rester dans les archives pendant des années.
Je réserve donc mes photos en Hipstamatic aux à-côtés du festival, ou bien lorsque je vois qu’une montée des marches ou qu’un « photo call » s’annonce plus calme que les autres. Mais même là, ce n’est pas évident : sur la Croisette, il y a énormément de soleil et de pièges de lumière. Et il suffit de bouger un tout petit peu pour qu’une photo Hipstamatic soit floue. Pas évident quand on est au cœur d’une meute où chacun joue des coudes…
Avec Balint Pörneczi pour l’agence Neus Photo, je suis un des seuls photographes à utiliser un smartphone à Cannes. Cela déclenche parfois des railleries de la part de mes confrères, du genre : « alors, on travaille à l’iPhone maintenant à l’AFP ? »
Mais quand ils voient le résultat, en général, ils changent d’avis.
Valéry Hache est un photographe de l’AFP basé à Nice. Visitez son compte Instagram