« Ils ont tout perdu et ils nous offrent le thé ! »
KATMANDOU, 21 mai 2015 – Deux mots tweetés par un ami journaliste népalais quelques instants après le deuxième tremblement de terre, le 12 mai, résument le sentiment général à Katmandou ce jour-là : « Encore, assez ».
Plus de deux semaines après le plus violent tremblement de terre ayant frappé le Népal depuis 80 ans, la vie dans la capitale commence à peine à revenir à un semblant de normalité quand un nouveau séisme survient, bientôt suivi d’une série de puissantes répliques. La nuit suivante, peu de gens ferment l’œil. A l’image de ces immeubles qui se sont affaiblis de façon imperceptible lors du premier tremblement de terre pour s’effondrer lors du second, les nerfs des habitants de la ville semblent sur le point de lâcher…
Et pourtant, dès le lendemain matin, les gens sont dans les rues en train d’aider les militaires à déblayer les dégâts. Je rencontre un homme de 62 ans qui ramasse patiemment, brique par brique, ce qui reste de sa maison qui s’est écroulée la veille. Il s’est déjà mis en tête de la reconstruire.
Résignation plus que colère
Selon les sismologues, la probabilité pour qu’un second séisme d’une telle puissance se produise si peu de temps après le premier était de seulement un sur deux cents, et le gouvernement admet qu’il a été complètement pris au dépourvu. Mais alors que les gens retournent passer la nuit à la belle étoile, le sentiment général est à la résignation plus qu’à la colère. Personne n’attend du gouvernement qu’il fasse quoi que ce soit. Alors les gens s’entraident, ou s’aident eux-mêmes.
J’ai travaillé à Katmandou pour l’AFP de 2009 à 2011. Du début jusqu’à la fin de mon séjour, j’ai entendu parler du « Big One ». Le Népal subit en moyenne un tremblement de terre majeur tous les quatre-vingts ans. Le dernier s’étant produit en 1934, le suivant était attendu d’un moment à l’autre.
Poignard contre l'anarchie
Quand j’étais arrivée, une agence internationale de développement venait de publier une étude sur l’impact attendu d’un séisme de magnitude huit dans la vallée de Katmandou. Cette agence prédisait que l’unique piste d’atterrissage de l’aéroport deviendrait inutilisable, que des pénuries d’eau et d’aliments surviendraient et qu’au bout de quelques jours, les rues seraient en proie à l’anarchie et aux pillages. Quand j’en avais parlé avec mes collègues népalais, l’un m’avait suggéré d’acheter une arme. « Tu vis seule, tu as besoin de quelque chose », m’avait-il dit. Il m’avait conseillé le khukri, le poignard de cérémonie des soldats Gurkhas.
Un quotidien difficile dans les tentes de fortune. Si vous ne pouvez pas visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
Je n’avais jamais acheté de khukri. Mais l’éventualité d’un tremblement de terre avait été une préoccupation constante tout au long de mes deux ans à Katmandou. La façon dont nous nous y préparions était un sujet de conversation fréquent entre amis et entre collègues.
Dormir avec une pelle et une pioche sous son lit
L’un dormait avec une pelle et une pioche sous son lit, pour le cas où il aurait été obligé de s’extraire lui-même des décombres de son domicile. Un autre portait en permanence autour du cou un petit sifflet argenté accroché à une chaîne. Moi-même, j’avais préparé un sac d’évacuation et un kit d’urgence – une boîte métallique contenant de l’eau en bouteille, des conserves alimentaires, une trousse de premiers soins et des chaussures robustes. J’avais repéré le chemin le plus court pour évacuer l’immeuble de l’AFP en cas de forte secousse.
Et là, quand j’arrive à Katmandou deux jours après le cataclysme du 25 avril, je vis une expérience surréaliste : dresser des tentes avec mes collègues dans le jardin de ce même immeuble, qui héberge à la fois le bureau de l’AFP et le domicile du chef de poste, et qui tient encore debout malgré quelques fissures, et retrouver le kit d’urgence à l’endroit exact où je l’avais laissé.
Ténacité, patience et générosité
Heureusement, le premier séisme a frappé un samedi en milieu de journée, quand les écoles et les bureaux étaient fermés. S’il s’était produit pendant la nuit ou en semaine, le bilan aurait sûrement été beaucoup plus lourd. Le petit aéroport de Katmandou a vite été saturé, mais par chance il est resté en état de fonctionner, ce qui a permis à l’aide d’urgence et aux équipes de sauvetage d’arriver très rapidement sur place.
Nous sommes loin des pillages généralisés et de l’anarchie que certains prédisaient. Bien au contraire, avec mes collègues dépêchés sur place pour couvrir le séisme –dont beaucoup n’ont jamais mis les pieds au Népal auparavant– nous assistons à d’extraordinaires démonstrations de ténacité, de patience et de générosité.
Les journalistes restent les bienvenus
Les journalistes ne sont pas toujours les bienvenus sur le terrain d’une catastrophe naturelle. Nous n’apportons pas aux habitants les tentes et les autres biens de première nécessité dont ils ont cruellement besoin. Mais encore et encore, des gens qui ont perdu leurs proches, leurs maisons, leurs moyens de subsistance prennent le temps de nous parler de ce qu’ils ont vécu et de nous montrer les dommages qu’ils ont subis. « Ils voulaient nous offrir le thé », raconte un collègue qui n’en revient pas après une journée passé à interviewer des survivants sans toit. « Ils ont tout perdu et ils voulaient nous offrir le thé ».
Chacun a une anecdote du même genre à raconter. Un photographe habituellement basé en Afghanistan se dit agréablement surpris que si peu de gens aient refusé de se faire prendre en photo. La directrice d’une bibliothèque du centre-ville affectée par le tremblement de terre nous fait patiemment visiter le bâtiment endommagé et nous explique la valeur culturelle de sa collection. Quand nous nous apercevons que l’enregistrement vidéo est raté à cause d’un problème technique, elle accepte gentiment de tout recommencer à zéro. Le responsable administratif du bureau de l’AFP, dont la maison familiale a été détruite, travaille sans relâche pour gérer cette invasion massive de journalistes arrivés en renfort depuis d’autres pays.
Un chauffeur de taxi honnête
Certains chauffeurs de taxi ont fait flamber leurs prix pour profiter de l’afflux de journalistes et de travailleurs humanitaires, mais beaucoup ont maintenu leurs tarifs habituels. Quelques jours après le premier séisme, l’un d’eux me conduit jusqu’à un quartier de Katmandou où les gens font la queue depuis l’aube pour quitter la ville à bord de l’un des autobus gratuits que le gouvernement a promis d’affréter. Cette promesse n'ayant pas été tenue, les esprits s’échauffent. Un groupe de jeunes commence à s’attaquer à la police et aux voitures qui passent.
Je suppose que ces échauffourées dissuaderont mon chauffeur de revenir me chercher au bout d’une heure, comme nous en étions convenus. En fait, pas du tout. Alors que je me suis résignée à rentrer à pied, je l’aperçois qui m’attend sur la route. Il a garé son taxi à bonne distance des incidents, et grâce à lui je peux quitter les lieux en toute sécurité.
Un nombre étonnant de bonnes nouvelles à raconter
Le Népal est l’un des pays les plus pauvres du monde et, même avant les tremblements de terre, ses habitants étaient déjà confrontés à un grand nombre de problèmes. Quand j’étais arrivée en 2009, le pays sortait à peine d’une longue guerre civile et vivait des crises politiques à répétition. Les sujets d’actualité négatifs étaient nombreux, mais il y avait aussi un nombre étonnant de bonnes nouvelles à raconter. La plupart avaient trait à des communautés qui travaillaient ensemble pour réaliser ce que le gouvernement ne pouvait ou ne voulait pas faire, comme la lutte contre le braconnage d’espèces menacées ou la protection des forêts du pays.
C’est cet état d’esprit qui prévaut pendant ces difficiles semaines après le séisme. De nombreux Népalais ordinaires passent spontanément à l’action pour accélérer l’aide humanitaire. Trouver des hébergements avant le début de la mousson pour les milliers de personnes que la catastrophe a laissées sans abri est un énorme défi. Beaucoup des zones les plus affectées étaient déjà inaccessibles par la route avant le second tremblement de terre, qui a provoqué de nombreux éboulements et a aggravé les difficultés.
Les efforts des volontaires s’avèrent substantiels et organisés. Ils vont de l’importation et la distribution des produits de première urgence, comme des bâches, jusqu’au « crowdsourcing » sur internet pour recenser les besoins de la population de tel ou tel endroit, et faire en sorte que ces besoins soient satisfaits au plus vite. Voilà de quoi, peut-être, se sentir un peu optimiste face à l’avenir incertain qui attend le Népal.
Claire Cozens est l’adjointe du directeur de l’AFP pour l’Asie du Sud, basée à New Delhi. Elle a travaillé à Katmandou de juin 2009 à juin 2011, et est retournée sur place pendant trois semaines après le séisme du 25 avril 2015. Lisez la version originale anglaise de son article.
Une mère et son enfant participent à une séance de "yoga par le rire" pour surmonter leurs traumatismes, le 15 mai à Katmandou
(AFP / Prakash Mathema)