Dans le camp de jeunesse du Hamas
GAZA, 3 mars 2015 - Rendez-vous nous est donné au stade Yarmouk de Gaza. Avec mes collègues, nous allons couvrir la première cérémonie de fin de formation de milliers de jeunes Gazaouis par la branche armée du Hamas, les brigades Ezzedine al-Qassam.
Depuis qu’il a pris le pouvoir par la force dans la bande de Gaza en 2007, le parti islamiste organise chaque année pour les jeunes de 15 à 21 ans des « camps d’été » où il leur dispense un enseignement religieux et les forme à « la résistance » à Israël.
Dans le territoire largement en ruines après la guerre de cinquante jours de l’été 2014, un nombre record de 17.000 jeunes se sont inscrits pour un camp d’une semaine, en janvier, encadré pour la première fois par les combattants de Qassam. Si l’on en croit le site internet des brigades, le stage comporte des entraînements intensifs à l’arme lourde et légère et l’apprentissage de techniques d’embuscade.
Le Hamas affirme que dispenser aux jeunes une formation au combat est une réponse « légitime » à l’occupation par Israël des Territoires palestiniens. Les organisations de défense des droits de l’Homme accusent pour leur part le mouvement islamiste d’exploiter des enfants victimes de la guerre, et mettent en garde contre les dangers de la militarisation croissante de la jeunesse de Gaza.
Nous n’avons pas pu assister aux entraînements proprement dits, mais le Hamas nous autorise à couvrir les cérémonies de fin de formation de cette « promotion » d’un genre bien particulier. Nous avons des contacts fréquents avec le parti islamiste, dont les porte-paroles sont toujours disponibles et dont les dirigeants donnent volontiers des interviews. Mais c’est une autre affaire avec Qassam, considérées tout comme le Hamas comme une organisation terroriste par les Etats-Unis et Israël, entre autres. Les brigades n’ont qu’un seul porte-parole, qui n’apparaît qu’à la télévision du Hamas, pour lire des communiqués, le visage masqué.
Pour assister à la cérémonie, il nous a fallu nous accréditer en bonne et due forme plusieurs jours à l’avance. Le jour venu, alors que tout le quartier est bouclé, je suis arrêtée à plusieurs rues du stade pour un premier contrôle par les policiers du Hamas. Une fois mon identité déclinée, j’obtiens la précieuse carte qui me permettra de faire mon reportage.
Les cérémonies du jour sont divisées en deux : j’assiste à celle organisée dans la ville de Gaza tandis qu’une autre a lieu au même moment à Khan Younès, dans le sud du territoire. Aux portes du stade, je suis à nouveau contrôlée par des policiers du Hamas. Tout est en règle, je peux entrer.
Pour rejoindre le centre, là où tout se passe, je traverse un long couloir d’hommes masqués : à ma droite et à ma gauche, des dizaines de combattants de Qassam. Autant dire que l’ambiance n’est pas à la rigolade. Pourtant, j’ai bien du mal à garder mon sérieux quand j’entends juste derrière moi un combattant qui glisse, taquin, à l’un de ses camarades : « Tu vas voir, elle va vouloir t’interviewer, la journaliste ». L’autre, qui visiblement n’a pas envie de rire, réplique, cinglant : « Tais-toi donc ! Que Dieu te pardonne ! Moi, je ne parle pas aux femmes ! ».
Finalement, je rejoins l’espace réservé aux journalistes, juste en face de la tribune où se trouvent les hauts dirigeants du Hamas, dont son chef à Gaza, Ismaïl Haniyeh, ancien Premier ministre de la petite enclave. Autour de nous, les gradins sont clairsemés, à peine quelques centaines de proches venus applaudir leurs enfants.
Devant nous, les premières files de jeunes, tous des garçons emmenés par des combattants de Qassam, commencent à défiler au pas. Puis, soudain, le stade est recouvert de ces jeunes qui bombent le torse, fiers d’avoir côtoyé de si près les combattants surentraînés du Hamas et se mesurent les uns aux autres : qui démontera puis remontera son arme plus vite que l’autre ? Un peu plus loin, des combattants enflamment des cerceaux à travers lesquels d’autres jeunes vont bientôt sauter. Je balaye le stade du regard : pas d’ambulance, pas de secouristes, durant toute la cérémonie, rien ne semble avoir été prévu en cas d’accident...
Alors que les cerceaux s’embrasent, j’en profite pour m’éloigner un peu du carré des journalistes et tenter de m’approcher des jeunes et de leurs commandants pour les interroger. Je suis flanqué d’un membre du bureau de presse du Hamas, qui m’y avait dûment autorisé, mais nous sommes arrêtés dans notre élan par un combattant de Qassam. « Les interviews, c’est interdit », lâche-t-il, inflexible. Bizarre, alors, qu’un collègue caméraman de télévision soit justement en train de tourner une interview juste derrière nous, non ?
L’officier ne lâche rien, je préfère me replier… pour trouver quelques mètres plus loin, des jeunes disposés à me parler, fiers et intarissables sur leur envie d’aller en découdre avec Israël qui a ravagé cet été pour la troisième fois en six ans la bande de Gaza, sans personne pour nous empêcher de discuter.
« Les Israéliens ont tué ma nièce cet été. Moi, je veux les tuer maintenant », affirme Hatem, 14 ans. « Pendant la guerre, j’avais peur », enchaîne Mohamed, 15 ans, « c’est pour ça que j’ai choisi de rejoindre la résistance. Les résistants, eux, n’ont jamais peur ».
A cet âge, un adolescent de Gaza a déjà connu trois guerres avec Israël, dont la dernière a tué quelque 500 enfants, selon des chiffres des Nations unies. Les brigades Ezzedine al-Qassam ont averti que faute de reconstruction des parties de l’enclave détruites l’été dernier, « il y aura une explosion ». Ses jeunes recrues sont catégoriques : lors du prochain conflit, dont personne ici ne doute qu’il se produira, elles seront prêtes pour le combat.
Mai Yaghi est une journaliste de l’AFP basée à Gaza. Lire la version originale arabe.