Sur le chemin du travail, à Delhi
NEW DELHI, 2 mars 2015 – La publication du budget annuel des chemins de fer est toujours une grosse nouvelle en Inde. Le réseau ferroviaire indien, un des plus vastes du monde, est la « colonne vertébrale » du pays et sa modernisation est une des grandes priorités du gouvernement. Cette année, l’annonce tombe le 26 février. Je suis entré à l’AFP au début du mois comme photojournaliste au bureau de New Delhi, et comme tous mes collègues à travers l’Inde je cherche la meilleure façon d’illustrer cet important sujet.
J’ai entendu parler d’une gare dans la banlieue de Delhi appelée Loni, où les trains qui se dirigent chaque matin vers le centre-ville sont tellement bondés que des centaines de passagers sont contraints de voyager suspendus à l’extérieur des wagons. Je me rends sur place la veille de la présentation du budget ferroviaire, en me disant que j’aurais sûrement l’occasion de prendre de bonnes photos d’illustration.
Je suis sur place à huit heures du matin, en pleine période de pointe. J’ai quelques difficultés pour dénicher le bon endroit d’où prendre mes photos, mais je finis par trouver un passage à niveau juste à côté de la gare, d’où je peux voir les trains passer juste à côté de moi.
Delhi est une des villes les plus surpeuplées du monde. Le centre de l’agglomération ne peut absorber la totalité des 25 millions d’habitants. Beaucoup sont obligés de vivre dans des banlieues dortoir, dans ce qu’on appelle la National Capital Region, et de prendre le train chaque matin pour aller travailler ou étudier.
Sur cette ligne de train, le nombre de voyageurs dépasse de loin le nombre de places. Ceux qui ne réussissent pas à monter à l’intérieur sont obligés de s’agripper à une porte, à une fenêtre, aux tampons ou de monter sur le toit, et de voyager de cette façon sur plusieurs kilomètres. Ce n’est pas seulement inconfortable : sur les photos, vous pouvez voir que ces gens risquent leurs vies.
Les trains roulent à vitesse normale, c’est-à-dire plutôt vite. La plupart des gens grimpent dedans quand il est à l’arrêt en gare, mais certains sautent vers les wagons alors qu’il est déjà en marche, en se faisant parfois hisser par ceux qui sont déjà à bord. C’est incroyablement dangereux.
La saturation du réseau ferroviaire est patente à Delhi, mais ce n’est pas le seul problème de congestion qui affecte la mégalopole. Tout en prenant mes photos, je me rends compte que le gardien du passage à niveau s’abstient délibérément de baisser la barrière pour laisser passer le train, qui ne peut donc quitter la gare bien qu’il soit déjà en retard.
Le garde-barrière me dit qu’il reçoit des coups de téléphone furieux de la part du chef de gare, qui lui ordonne de fermer le passage à niveau. Mais c’est impossible : il y a trop de trafic sur la route. Pas seulement des voitures, mais aussi des tracteurs, des buffles, des camions… C’est une cohorte sans fin qui traverse les rails.
Finalement, le train se met en marche. Lentement d’abord. Le conducteur semble tenir compte de tous les gens qui voyagent sur le toit. Un coup de klaxon me fait comprendre que je dois m’écarter des rails pour le laisser passer. En m’apercevant, les voyageurs me font de grands gestes : en Inde, les gens sont ravis dès qu’ils voient un appareil photo.
Je m’écarte de la voie et je mitraille le train pendant qu’il passe devant moi. Alors qu’il s’éloigne, je prends cette photo d’un homme accroché à l’arrière, à la façon de Spiderman. J’aime bien cette photo.
A en juger par les sourires des passagers, on ne peut pas dire que cette situation les rend malheureux. C’est à la fois un bon et un mauvais côté des Indiens : nous nous adaptons à tout.
Les voyageurs appartiennent aux classes moyennes et inférieures. Il y a beaucoup d’étudiants. Et certainement aucun d’entre eux n’est riche. Il est clair qu’ils n’ont d’autre choix que de voyager ainsi. Ils se lèvent chaque matin, ils doivent arriver à Delhi avant telle heure. Comment pourraient-ils faire autrement que de prendre ce train ?
Cette gare a la réputation d’être particulièrement fréquentée. Je ne sais pas à quel point ce genre de spectacle est courant à Delhi, mais en tout cas je n’avais jamais assisté à ça avant. J’ai vu des trains bondés au Bangladesh, ou pendant un festival dans le nord de l’Inde, mais c’est la première fois que je vois des gens s’accrocher aux wagons de cette façon juste pour aller travailler le matin.
Les transports à Delhi se sont beaucoup améliorés depuis dix ans, notamment avec l’arrivée du métro. Mais il est évident qu’il reste beaucoup à faire. Les gens ont besoin de plus de trains.
Dans son budget ferroviaire, le gouvernement a prévu d’investir 137 milliards de dollars pour améliorer le système. Je ne sais pas quelle part de cette somme ira à Delhi, mais j’espère qu’avec la modernisation du réseau, des photos comme celles-ci deviendront vite des reliques du passé.
Money Sharma est un photographe de l’AFP basé à New Delhi.