Un sourire dans un cimetière
(Pour terminer une année 2014 marquée par les guerres, les massacres, les épidémies et autres tragédies, les photographes de l’AFP racontent chaque jour, jusqu’au 31 décembre, l’histoire d’une image belle, ou porteuse d'espoir, prise dans le contexte d’un événement dramatique).
POZZALLO (Italie), 24 décembre 2014 – J’ai pris cette image le 2 juillet 2014 dans le port de Pozzallo, à la pointe sud de la Sicile. Ce sont des familles de migrants qui attendent de débarquer d’un bâtiment de la marine italienne après avoir été secourus en mer dans le détroit de Sicile.
Ces personnes ont survécu à une tragédie : dans le chalutier à bord duquel elles ont été secoures, les sauveteurs ont découvert les corps de quarante-cinq migrants morts étouffés dans la cale, où ils avaient été enfermés par les trafiquants d’êtres humains qui les convoyaient. La nuit était déjà tombée quand ils sont arrivés à Pozzallo. J’ai pris mes photos depuis le quai, alors que le navire de la marine était en train d’accoster.
J’ignore l’histoire de cet homme et de ce petit garçon sur l’image. Je ne sais même pas s’il s’agit d’un père et de son fils. Il s’agit probablement de Syriens fuyant la guerre civile dans leur pays et tentant de gagner l’Europe du nord. Les personnes secourues sur le chalutier étaient de plusieurs nationalités différentes. Il y avait des Syriens, des Erythréens, des Somaliens et des Camerounais, dont beaucoup de familles avec des enfants en bas âge.
Les sauveteurs ont découvert les quarante-cinq cadavres entassés les uns sur les autres à fond de cale. Selon la police, cela ressemblait à une fosse commune. Les victimes sont mortes asphyxiées par les fumées toxiques, après avoir été enfermées dans la cale par les passeurs qui craignaient que le bateau ne chavire à cause de leur mouvement de panique. Plus de six cents hommes, femmes et enfants étaient massés à bord du chalutier de vingt mètres de long lorsqu’il a été intercepté par la marine italienne.
L’été dernier, j’ai photographié des débarquements de migrants dans toute la Sicile. A Pozzallo, Catane et Messine ainsi qu’en Calabre. Jamais auparavant nous n’avions assisté à un afflux aussi massif de désespérés à bord d’épaves bondées. J’ai souvent vu arriver des enfants seuls, sans leurs parents. Et même ceux qui débarquent avec leurs familles sont généralement choqués et effrayés. Photographier un sourire pareil dans ces circonstances est vraiment très, très rare.
Giovanni Isolino est un photographe indépendant basé en Sicile.