Horreur et hashtags : couvrir Boko Haram
LAGOS, 22 mai 2014 – Notre bureau de l’AFP au Nigeria a fait parler de lui ces dernières semaines, après que nous ayons obtenu des vidéos de Boko Haram et des plus de 200 adolescentes kidnappées par ce groupe armé radical dans leur école du nord du pays le mois dernier.
Les activistes ont commencé par revendiquer l’enlèvement de 276 lycéennes le 14 avril à Chibok, dans l’Etat de Borno, et par promettre de traiter les lycéennes en « esclaves », de les vendre et de les marier de force. Une semaine plus tard, ils nous faisaient parvenir une vidéo montrant environ 130 des 223 jeunes filles encore retenues en otage, et affirmaient qu’elles s’étaient toutes converties à l’Islam.
Dans le passé, nous avions déjà obtenu plusieurs vidéos de ce genre via notre réseau dans le nord du Nigeria. Toutes avaient été largement reprises dans les médias du pays et à l’étranger. Mais l’intérêt soulevé par la vidéo des lycéennes a, sans surprise, battu tous les records.
Si vous ne parvenez pas à visualiser correctement cette vidéo, cliquez ici.
On m’a demandé à plusieurs reprises de raconter comment nous avons obtenu ces films. Pour des raisons de sécurité, c’est impossible. Tout ce que je peux dire, c’est que nous traitons les informations qu’ils contiennent de la même manière que n’importe qu’elle information. Nous faisons appel à notre jugement éditorial, et nous écrivons des dépêches basées sur ce que montrent les images.
L’AFP s’impose des règles très strictes pour la diffusion d’informations de ce type. Nous devons prendre en compte ce que disent les otages, le fait que leurs propos peuvent être utilisés à des fins de propagande, et la forte probabilité qu’ils s’expriment sous la contrainte. Nous faisons extrêmement attention de ne rien publier qui puisse mettre en danger les personnes enlevées. Nous cherchons en permanence l’équilibre entre la nécessité d’informer et celle d’assurer la protection des intérêts et la sécurité des victimes et de leurs familles.
Cela n’a pas empêché certains observateurs de nous accuser de nous transformer en porte-parole de Boko Haram. Quelques-uns ont même affirmé que nous n’aurions pas dû diffuser la fameuse vidéo.
Mais nous sommes une agence d’information. Cet enlèvement massif suscite, à juste titre, un immense intérêt dans le monde entier. La campagne virale sur internet et les efforts internationaux déployés pour retrouver les jeunes filles témoignent de l’envergure exceptionnelle de cette affaire.
La campagne #BringBackourGirls, qui a démarré sur Twitter au Nigeria et qui a été rejointe par des centaines de milliers de personnes et par toutes sortes de célébrités, depuis Michelle Obama jusqu’au Pape François, a clairement contribué à maintenir au plus haut l’intérêt mondial pour cette tragédie. N’en déplaise à tous ceux qui ont qualifié cette campagne de « slacktivisme », ou activisme paresseux, il est clair qu’aujourd’hui, un hashtag peut permettre à une information de continuer à intéresser un maximum de gens pendant beaucoup plus longtemps qu’auparavant.
D’autres commentateurs ont aussi accusé la presse internationale de s’être intéressée trop tardivement à cette affaire. C’est peut-être le cas de certains médias, qui ont préféré se concentrer sur le naufrage du ferry en Corée du Sud ou sur la disparition de l’avion de Malaysia Airlines. Mais l’AFP, ainsi que les autres agences et grands médias internationaux qui disposent de correspondants permanents au Nigeria, rapportent ce genre de drame régulièrement. Dans la réalité, les attaques perpétrées par Boko Haram et leurs conséquences commencent à accaparer la plus grande partie de nos journées de travail.
Nous avons rendu compte de l’enlèvement des lycéennes dès que nous l’avons appris, à savoir le lendemain de sa survenance. Les enlèvements sont fréquents au Nigeria. Quand ils sont l’œuvre de Boko Haram, les jeunes filles sont parfois utilisées comme esclaves sexuelles ou forcées de se marier avec leurs ravisseurs, avant d’être abandonnées quand elles tombent enceintes. Mais aucun kidnapping n’a atteint l’ampleur de celui de Chibok, ce qui explique que l’affaire ait fait autant parler d’elle hors du Nigeria.
Le nord du Nigeria est une région extrêmement dure à couvrir. Les événements qui s’y produisent mettent souvent des jours avant d’être connus. Dans l’Etat de Borno, les réseaux de téléphonie mobile ont été désactivés l’an dernier en raison de l’état d’urgence. Parfois, épisodiquement, ils sont remis en marche, mais personne ne sait quand cela va se produire. Les lignes téléphoniques fixes qui fonctionnent sont peu nombreuses, et les connexions internet, lorsqu’elles existent, sont de piètre qualité. Nos reporters sur place doivent patiemment attendre de disposer d’un signal suffisamment fort pour pouvoir transmettre leurs informations. Leur demander une précision par email et obtenir leur réponse est un processus qui prend le plus souvent des heures.
Pour toutes ces raisons, il n’est pas rare qu’on apprenne une attaque plusieurs jours après qu’elle ait été perpétrée. Et les informations que nous obtenons sont le plus souvent fragmentaires et contradictoires. Il nous faut les confirmer de plusieurs sources, et les autorités ne font généralement aucun commentaire.
Que va-t-il se passer maintenant ? Nul ne peut le prédire. Il y aura certainement une autre vidéo. Et d’autres attaques. Le 20 mai, un double attentat à la voiture piégée a fait au moins 118 morts à Jos, dans le centre du pays.
Mais maintenant, le monde a les yeux braqués sur nous. Cela aidera, peut-être, à arrêter le bain de sang.
Phil Hazlewood est le directeur du bureau de l’AFP à Lagos.