Les pirogues disparues de l’Oubangui

le 1er décembre 2011 (AFP / Xavier Bourgois)

BANGUI, 4 déc. 2013 - Il y a deux ans presque jour pour jour, je prenais une photo de touriste. C'était mon tout premier séjour en Centrafrique. A Bangui, comme chaque année le 1er décembre, jour de fête nationale, se déroulait la traditionnelle course de pirogue, et c'est tranquillement installé sur un bar-plage sur les rives du fleuve Oubangui que nous avons assisté à la course avec quelques amis humanitaires.

Une course de pirogue. Dit comme ça, cela n'a l'air de rien. En réalité c'est une compétition particulièrement impressionnante, féroce même, quand des dizaines de pirogues embarquant chacune une quarantaine de rameurs s'élancent sur un fleuve aux eaux pas toujours tranquilles, s'entrechoquant et chavirant, parfois.

Sur les rives, des centaines et des centaines de Banguissois applaudissaient les concurrents.

(AFP / Xavier Bourgois)

La lumière était magnifique, alors j'ai fait une photo de touriste. Et elle a plu ma photo. Elle a tellement plu qu'aujourd'hui, plusieurs de mes amis l'ont quelque part, encadrée. Cette image, je l'ai vue et revue des dizaines de fois, jusqu'à m'en lasser. Pourtant je me suis toujours dit que cela vaudrait sans doute le coup, à l'occasion, de retourner dans ces courses de pirogue, et pourquoi pas d'embarquer... cela ferait de belles images ?

Seulement voilà. Deux ans plus tard la course de pirogue à laquelle les Banguissois sont si attachés n'a pas eu lieu. Le petit bar plage depuis lequel j'ai fait cette photo a été pillé, détruit, brûlé. Lors de mon dernier séjour, je suis passé devant, et n'y ai trouvé que des combattants aux uniformes dépareillés, simplement assis là à regarder le fil de l'eau.

J'avais découvert l'Oubangui-Charri avec cette photo, et j'avais trouvé ce fleuve magnifique, en particulier tôt le matin à la saison des pluies, lorsque la brume laisse apparaître l'autre rive petit à petit. De l'autre côté, c'est la République démocratique du Congo.

L'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalinga, répond aux questions des médias le 26 septembre 2013 après la découverte dans le fleuve Oubangui du cadavre d'un homme (à l'arrière plan) apparemment victime d'une exécution sommaire

(AFP / Pacome Pabandji)

En revenant quelques mois plus tard à Bangui, tout avait changé. Le fleuve aussi. Désormais à rythme régulier, il rejetait des cadavres anonymes, ligotés. De symbole d'union nationale il était devenu le symbole de la crise, des exactions, des règlements de comptes.

Des humanitaires qui m'avaient emmenés là, la plupart ont subi le pillage, les violences. Certains se sont retrouvés à genoux, canon sur la tempe, lors de l'entrée de Michel Djotodia et de l'ex-rébellion Séléka dans la ville. La plupart sont partis, d'autre sont revenus. Mais rien n'est plus pareil. Leur mission quotidienne « de développement » a laissé la place à l’urgence, et quelle urgence…

Pendant un temps, juste avant et après la prise de Bangui, le fleuve a vu d'autres pirogues, nombreuses, de centrafricains paniqués et déterminés à passer la frontière naturelle pour se rendre dans le pays d'en face, lui aussi en proie à des violences terribles. Mais comme me le racontait un postulant au départ « au moins là-bas, ce n’est pas notre guerre ».

De jeunes combattants du Séléka prennent la pose le 25 juillet 2013 à Bangui (AFP / Xavier Bourgois)

Bien sûr, avant la Séléka, la vie n'était pas rose à Bangui. Le pays souffrait déjà de violences armées, les enfants des rues arpentaient les artères de la capitale hier comme aujourd'hui, mais par une belle journée de décembre, je m'étais pris à jouer le touriste. 

J'y ai encore fait beaucoup de photos lors des séjours qui ont suivi: des photos de rebelles, d'enfants soldats, d'hôpitaux, de vies brisées. Mais bien sûr, celles-là, je ne pense pas que les copains auront envie de les mettre dans leurs salons.

J'aurais aimé pouvoir ouvrir une toute petite parenthèse dans la crise, et capturer à nouveau la course de pirogue du 1er décembre, durant laquelle nous aurions pu faire semblant que tout va bien. Raté. Cette année, les festivités ont toutes été annulées.

Des habitants de la région de Damara, où ont eu lieu des exactions, fuient vers Bangui le 3 décembre 2013

(AFP / Sia Kambou)

Xavier Bourgois est journaliste au bureau de l'AFP à Libreville.