Cartes postales d’Absurdistan
BEYROUTH, 19 sept. 2013 - Durant les longues années de la guerre au Liban, ma mère passait son temps libre à chiner dans les marchés et chez les antiquaires parisiens. Elle récoltait, pour sa collection, de vieilles cartes postales de son pays.
Des images d’un Liban dont on vantait son festival international de Baalbek «où se sont produits les plus grands artistes de l’époque», sa compagnie aérienne, «la première au Proche Orient », la capitale Beyrouth, «Paris du Moyen-Orient », le peuple libanais «qui fonda l'une des premières grandes civilisations du bassin méditerranéen», et les montagnes enneigées a 25 minutes d’une mer limpide. Le Liban était «un pays où l’on peut skier et nager le même jour».
Ces images lui rappelaient sa jeunesse, une époque révolue dont j’ai peu de souvenirs. Un Liban sans armes, sans violence, plein de joie de vivre et d’insouciance. Un Liban que je n’ai presque pas connu.
J’ai voulu, à travers mes images, vous parler des «cartes postales» qui ont marqué le Liban de ma jeunesse. Il s'agit bien entendu de photos authentiques, que j'ai prises à l'époque, et que j'ai transformées à l'aide d'un filtre. Vous ne trouverez mes cartes postales dans aucun magasin de souvenirs. Elles sont, en revanche, en vente à la Beirut Art Fair.
© Patrick Baz
L’invasion du Liban par Israël en 1982 est le moment auquel je me lance dans le photojournalisme. A l’aéroport de Beyrouth, je prends cette image d’un avion de la compagnie nationale Middle East Airlines totalement détruit par un raid de l’armée israélienne.
© Patrick Baz
Je n’ai même pas eu besoin de demander à ce milicien chrétien, sosie craché de l’acteur de films d’action américain Sylvester Stallone, de poser pour la photo. Il l’a fait naturellement. Nous sommes en 1987, deux ans après la sortie du film «Rambo II : La Mission»… En Absurdistan, l’humour noir est roi.
© Patrick Baz
J’ai pris cette photo pendant une séance de ski nautique avec des copains dans la baie de Beyrouth. Au Liban, pendant la guerre, les armes sont quelque chose d’extrêmement important. Elles sont à la fois une mesure de protection dans un pays en proie au chaos et, pour beaucoup, un substitut phallique. Quand j’étais en quatrième, j’allais à l’école avec un revolver à la ceinture. Un peu plus tard, à seize ans, j’ai réalisé que j’étais incapable de tirer sur un être vivant et j’ai remplacé la Kalachnikov par un appareil photo discrètement « emprunté » à mon père. Mais la guerre ne me quittera plus…
© Patrick Baz
Même pour aller skier dans la montagne, les Libanais de l’époque ne laissaient pas leurs armes au vestiaire. L’indiscipline chronique, le refus de faire la queue devant un remonte-pente, peut facilement se compliquer quand toutes ces personnes qui se bousculent et se chamaillent sont armées jusqu’aux dents…
© Patrick Baz
Nous voici au cœur de l’Absurdistan. Un orchestre classique français est venu jouer au Liban, et leur producteur a décidé de leur faire tourner un clip vidéo sur la ligne de démarcation entre les secteurs chrétien et musulman de Beyrouth… Surréaliste.
© Patrick Baz
C'est la fin de la guerre. La place des Martyrs était située à cheval sur la ligne de démarcation entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest, surnommée « ligne verte » car le no-man’s land était envahi par les herbes folles. Pour la première fois depuis des années, les gens peuvent passer sans problème d’un côté de la ville à l’autre. Il y a une grande curiosité. C’est un peu comme à Berlin juste après la chute du mur.
(Patrick Baz est le directeur de la photo AFP pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Ses cartes-postales sont présentées du 19 au 22 septembre 2013 à la Beirut Art Fair dans le cadre de l’exposition «Generation War». Celle-ci réunit les travaux de six photoreporters libanais nés dans les années 1960 : Georges Azar, Aline Manoukian, Samer Mohdad, Jack Dabaghian, Roger Moukarzel et Patrick Baz. Dans les années 1980, alors qu’ils ont à peine vingt ans, leurs images de la guerre sont publiées dans toute la presse internationale.)