Chance et malchance à Bagdad

Mais il y a des violences qui vous touchent plus particulièrement que d’autres. En 2011, j’avais écrit un billet de blog sur un supermarché haut de gamme qui, pour moi, était devenu un assez bon indicateur de progrès. A chaque fois que j’apercevais pour la première fois, sur les étals, des produits comme des canettes de Red Bull, des boîtes de Pop-Tarts ou une nouvelle variété de fromage, je considérais cela comme un signe que les Irakiens avaient désormais davantage le choix. Pas tous les Irakiens, bien sûr. Mais pour la classe moyenne, il y avait plus d’options, plus de variété.

Le soir du 24 juin, un minibus bourré d’explosifs a sauté devant le supermarché. La façade a été pulvérisée. La rue était couverte d’éclats de verre et d’énormes bouts de métal tordus qu’il a fallu une grue pour évacuer. Je suis passé devant l’établissement ce soir-là, en rentrant d’un rendez-vous. Un soldat m’a dit que quatre personnes avaient péri, dont une femme et une petite fille.

Je suis retourné sur les lieux le lendemain matin, et j’ai interrogé quelques employés du supermarché. Ils m’ont parlé de leurs deux collègues tués, Ashur et Jaabar. Ashur, un chrétien taillé dans le roc, avait la quarantaine. Un des employés parlait de lui comme « son frère ». Jaabar était plus jeune, la trentaine, et il était tout aussi aimé par le personnel du magasin. Comme la femme et la petite fille, ils s’étaient trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment.

En retenant à grand peine leurs larmes, les employés m’ont affirmé qu’ils reconstruiraient leur supermarché. Ils ignoraient combien de temps cela leur prendrait. Des semaines ? Des mois ? Peu importe, ils le rebâtiraient.

« Nous, Irakiens, sommes habitués à ce genre de chose », m’a dit l’un deux, Ehab. « Nous recommencerons de zéro ».

Pendant que nous revenions au bureau, un de mes collègues m’a raconté qu’avant que l’Irak ne bascule dans la violence, c’était souvent, comme partout, un traumatisme que de voir un de ses proches mourir de vieillesse.

« Maintenant, nous disons que ceux-là ont de la chance », a-t-il dit.

Liste des victimes de violences en Irak tenue à jour quotidiennement par le bureau de l'AFP à Bagdad