(AFP / Nom du photographe)

Quand la roue revient en arrière...

PARIS, 21 mai 2013 – 14 Juin 1999. Après des années d’affrontements sanglants entre la guérilla albanaise et l’armée serbe et plus de deux mois de bombardements intensifs de l’Otan, la guerre du Kosovo s’achève. Les troupes de la coalition internationale entrent dans la province séparatiste. Dans les rues de Pristina, la capitale, c’est la liesse. Cette petite Albanaise est hissée par son père sur un tank britannique. Un photographe de l’AFP, Jean-Philippe Ksiazek, immortalise la scène.

Près de quatorze ans plus tard, ce photojournaliste qui a couvert de nombreux conflits à travers le monde a complètement oublié cette image en particulier. Un jour, en relevant sa boîte mail, il trouve le message d’une complète inconnue, Egzona Jashanica.

«Cher M. Ksiazek», écrit cette jeune habitante de Pristina. «Quand vous avez pris cette photo je n’avais que sept ans, mais je me souviens de cet instant comme si c’était aujourd’hui. Je savais qu’on m’avait photographiée le jour où les troupes de l’Otan s’étaient déployées dans Pristina mais je ne trouvais la photo nulle part. Je l’ai cherchée sans relâche pendant longtemps parce que cette image représente le moment le plus heureux de mon enfance (…) Je voulais juste vous remercier».

Des Albanais du Kosovo acclament le passage des troupes britanniques à Pristina, le 13 juin 1999 (photo: AFP / Jean-Philippe Ksiazek)

«Ce jour-là, je venais d’arriver à Pristina avec les troupes britanniques», se souvient Jean-Philippe Ksiazek, qui est actuellement basé à Lyon, dans le sud-est de la France. «On avait mis trois jours à parvenir jusqu’à la capitale depuis la frontière macédonienne parce que toutes les routes étaient minées. Sur le bord des chemins, les Albanais acclamaient les militaires. Une fois dans la capitale, on s’est arrêtés en début d’après-midi sur une petite place et la foule a commencé à monter sur les chars. Je ne me souviens pas très bien de l’instant précis où j’ai pris cette photo et je n’ai pas échangé un mot avec la petite fille. Nos chemins se sont séparés là. Les ennuis du Kosovo étaient loin d’être terminés. Après, il y a eu des règlements de comptes, on a découvert  des charniers… Mais ce 14 juin était un jour de grande joie à Pristina».

Egzona Jashanica est aujourd'hui étudiante en économie et management à l'Université américaine du Kosovo. Elle se souvient parfaitement de la scène.

«Pendant des mois, on m’avait interdit de sortir de la maison car mes parents avaient peur des soldats serbes et des bombardements. Nous vivions cachés à la campagne, chez des membres de ma famille. Et puis, Pristina a été libérée et pour la première fois depuis si longtemps, on a pu se promener dehors sans crainte. Avec mon père, ma grande sœur et mon oncle, nous sommes allés acclamer les soldats dans la rue. Puis mon père m’a pris dans ses bras et m’a hissée sur le char. C’était vraiment le plus beau jour de mon enfance».

Egzona Jashanica, en 2013 (photo: DR)

«J’avais vu des photographes qui mitraillaient la scène et je savais donc que quelqu’un avait immortalisé cet instant», poursuit la jeune fille. «Pendant longtemps, j’ai tout fait pour retrouver l’image, mais j’ai échoué. J’ai épluché les journaux et les magazines de l’époque, sans résultat. Et puis, il y a quelques semaines, en regardant des photos de la guerre du Kosovo que quelqu’un avait mis sur sa page Facebook, je suis tombée par hasard sur ce que je cherchais. Il n’y avait pas le nom du photographe, mais je l’ai trouvé en faisant une recherche sur Google Images».

«Quand j’ai aperçu la photo pour la première fois, j’ai éclaté en sanglots», raconte encore Egzona Jashanica. «J’ai téléphoné à ma sœur qui, avant de voir l’image à son tour, n’a absolument pas compris pourquoi j’étais dans cet état. C’était une sensation incroyable».

Ce n’est pas la première fois qu’une personne photographiée par l’AFP se reconnaît, des années plus tard, sur l’image. Fin 2012, c’était un jeune Bosnien photographié aux pires heures du siège de Sarajevo et depuis émigré aux Etats-Unis, qui avait eu un choc en voyant une photo de lui reprise dans un web-documentaire de la BBC sur le 20ème anniversaire de ces événements. Le jeune homme s’était alors manifesté auprès du photographe Patrick Baz.

«C’est un sentiment vraiment étrange», avoue Jean-Philippe Ksiazek. «Avec le métier qu’on fait, on rencontre des gens de partout, tous les jours. Ce sont souvent des souvenirs extraordinaires, mais la roue tourne. Quand survient quelque chose comme le mail d’Egzona, c’est un peu comme si elle s’arrêtait de tourner, puis qu’elle revenait en arrière».

Le photographe de l'AFP Jean-Philippe Ksiazek, ici au travail en Afghanistan en novembre 2001 (photo: DR)
Roland de Courson