(AFP / Aaron Tam)

Dans le monde ténébreux des concours de chauffards

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HONG KONG, 23 mai 2013 – Je suis installée à Hong Kong depuis moins d'un mois quand j’entends parler pour la première fois descourses automobiles clandestines. C'est ma cousine qui m'apprend, incidemment, leur existence. Elle me raconte que presquechaque weekend, avant l’aube, elle est réveillée en sursaut par unconvoi de voitures aux moteurs dopés qui fonce en vrombissant sous lesfenêtres de son appartement.

Qui sont ces gens? Qu'est-ce qui les pousse à réaliser chaque semaine ce "remake", version réelle, de la célèbre série de films "Fast and Furious"?Comment un cercle de coureurs automobiles illégaux peut-il avoir sa place dans l'ancienne colonie britannique réputée pour l’ordre et la discipline qui y règnent ? Je suisintriguée.

Sur internet, je découvre de nombreuses vidéos (comme celle ci-dessous) montrantdes voitures fonçant à tombeau ouvert sur les voies rapides de Hong Kong. Mais,filmées à l’aide de caméras embarquées, elles ne montrent pas grand chose à part la routequi défile. Elles ne révèlent rien sur cet univers del’ombre.

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Alors, j'opte pour la méthode habituelle. Je commence parinterroger la police. Les données qu’elle me fournit confirmentl’existence du problème. Mais quand je demande à accompagner une unité chargée de réprimer ces compétitions de chauffards, le refus est catégorique.

Ilne me reste plus qu’à me promener dans les forums spécialisés surinternet. Mais les semaines passent, et personne ne répond à messollicitations.

Je suis sur le point de renoncer. Et puis, dans unultime effort de recherche, je tombe sur un blog qui parle exactementdu sujet qui m’intéresse: les courses de voitures illégales à HongKong. Seul problème: il a été rédigé il y a dix ans, et son auteurhabite maintenant Los Angeles. Qu'à cela ne tienne, je la contacte.

Tout acommencé sur un projet de documentaire sur ces courses de voitures, meraconte-t-elle. Mais la frontière entre la réalisatrice et son sujets’est évanouie lorsqu’elle s’est mise à participer elle-même à descompétitions clandestines.

Et puis, le SRAS a frappé la ville, lescourses ont attiré de moins en moins de participants, et le projet dedocumentaire a été abandonné.

La bloggeuse a perdu contact depuis longtemps avec ses anciens amis. Mais elle me livre quand même un indice capital.

Jene mets pas très longtemps à découvrir l’endroit dont elle m’a parlé.Une rue bordée de garages dans lesquels les amateurs de sensationsfortes trafiquent leurs voitures pour augmenter leur vitesse maximale.Je ne suis pas très optimiste. Un des propriétaires de garage, qui neparle que cantonais, commence à me faire signe de déguerpir. Juste à cemoment-là, un coureur qui est en train d’attendre qu’un mécanicienrépare sa Lotus me lance: «Ce n’est pas le moment de faire ce reportage.Il y a trop de choses à perdre pour vous».

Je sens qu’ilhésite entre méfiance et curiosité. La conversation s’engage. Il secontredit. A un moment, il nie l’existence des courses clandestines,avant de me livrer des indices sur la façon dont ces courses sontorganisées: les routes empruntées, pourquoi les gens participent, cequ’ils craignent.

Les patrouilles de police s’intensifient,explique-t-il. Il ne tient pas à risquer la prison en me révélant plusd’éléments. Mais il consent à m’indiquer quelques personnes quipourraient peut-être le faire.

Quelques rencontres plus tard, une de ces personnes m’invite à une course clandestine du dimanche matin.

Celafait deux mois que je travaille sur cette enquête, et enfin je peuxaccéder à une course illégale. Mais c’est alors que ça se complique surle plan des décisions éditoriales. Quand on filme une activité illicitequelle qu’elle soit, il faut se poser plusieurs questions. La premièred’entre elles est: est-ce que je fais cela dans l’intérêt du public?

Jesais que les plaintes contre les courses de voitures dans les rues deHong Kong sont en augmentation et que l’an dernier, la police a procédé à291 opérations contre cette pratique. Aucune statistique ne relie lescourses au nombre d’accidents de la circulation ou de morts sur la routeenregistrés dans la ville, mais il est évident que cette activité estun vrai danger public.

(AFP / Aaron Tam)

La police m’a affirmé que les courses sontimprovisées et qu’elles ne font l’objet d’aucune organisation. Mais messources me décrivent une toute autre réalité. Si je réussis à en venirà bout, mon reportage pourra non seulement raconter pourquoi leschauffards prennent le risque de foncer à toute vitesse dans les rues,mais aussi montrer l’ampleur du phénomène à Hong Kong.

Mon contactm’invite à prendre place sur le siège du passager dans sa voiture. Sij’accepte, je pourrais filmer au cœur de l’action. Mais aux yeux de laloi et de moi-même, je ne peux justifier ma participation à un délit quimet en danger la vie des gens. J’ai besoin de voir le début et la finde la course. Mais pour les plans depuis l’intérieur des voitures,j’utiliserai les vidéos que les conducteurs tournent pour eux-mêmes.

Toutesces considérations tourbillonnent dans ma tête au moment où un taxi medépose dans une zone industrielle déserte à quatre heures du matin. Lescoureurs seront-ils au rendez-vous?

Alors que je suis en train depréparer ma caméra, les voitures arrivent une à une dans la rue envrombissant. Filmer la scène est excitant mais difficile. Ma source m’aouvert la porte d’un monde illégal dont les habitants, en temps normal,n’auraient jamais parlé à un journaliste. Il me faut donc garantir àtout le monde l’anonymat. Je m’efforce de ne pas filmer les plaquesd’immatriculation, de me concentrer sur les dos des gens, sur leursmains ou sur leurs pieds, ou de prendre des images intentionnellementfloues.

(AFP / Aaron Tam)

La police débarque et les coureurs s’enfuient à toutevitesse. Je filme ce que je peux. Après la course vient le moment desinterviews, autour d’un petit déjeuner. C’est là que je tombe surl’homme du garage, celui qui m’a introduit dans ce monde très fermé.«Alors, t’as finalement réussi, hein ?»  me lance-t-il.

Lesdilemmes éditoriaux ne prennent pas fin avec la course. Comment fairepour éviter de glorifier une pratique illégale aux conséquencespotentiellement meurtrières? Je retourne voir les policiers, et jeleur demande une interview pour mettre l’accent sur leur préoccupation.Cela équilibrera le reportage. Je décide aussi d’utiliser un film d’accident publié sur YouTube (aprèsen avoir vérifié l’authenticité grâce à mes sources) pour illustrer defaçon flagrante les risques que comportent ces courses automobilesdébridées à travers les rues d’une grande ville.

Je ne suis pasencore très sûre des raisons pour lesquelles ma source a accepté dem’introduire dans ce milieu. La plus probable de ces raisons, c’est queles coureurs clandestins sont persuadés d’être des conducteursexceptionnellement doués, et sûrs que leur talent au volant les met, euxet les autres, à l’abri du danger. Ils ont d’ailleurs une curieusefaçon de prendre leurs distances avec la réalité de leurs actes : ilsappellent leurs courses illégales «la balade du dimanche».

Si lapolice m’avait autorisée à suivre une patrouille quand j’avais commencémon enquête, je ne serais sans doute jamais parvenue aussi près descoureurs clandestins. Par chance, on ne revient pas toujours avecl’histoire qu’on est partie chercher...

(AFP / Aaron Tam)