Dans les pas d'Obama : avec les pools
Depuis fin 2009, le correspondant de l'AFP à la Maison-Blanche Tangi Quéméner est le seul reporter non anglophone à suivre au quotidien Barack Obama. Il publie le 12 septembre aux éditions JC Lattès "Dans les pas d'Obama", un "portrait rapproché" du 44ème président des Etats-Unis et de son style d'exercice du pouvoir. Le blog Making-of publie les bonnes feuilles de ce palpitant essai. Dans ce premier volet, Tangi Quéméner décrit le système des "pools" qui permet aux grands médias de suivre en permanence la frénétique actualité présidentielle, et l'incroyable logistique mise en place pour assurer la sécurité de l'homme le plus puissant du monde dans ses déplacements, que ce soit à l'autre bout du monde ou au coin de la rue.
WASHINGTON, 11 septembre 2012 - Étant donné la longueur de certaines journées présidentielles, aucun journaliste ne suit Obama à lui seul. La plupart des médias accrédités dans le pool, agences de presse, journaux, télévisions et radios, font tourner leurs correspondants. Près d’une demi-douzaine de photographes de l’AFP se relaient. Les deux rédacteurs de notre agence accrédités à la Maison-Blanche participent à une rotation, qui les conduit à suivre Obama hors de Washington grosso modo une fois sur cinq. Mais si l’on prend en considération le rythme des déplacements présidentiels, jusqu’à deux voyages par semaine, notre tour revient assez souvent. Nous sommes alors les yeux et les oreilles de tous nos collègues qui comptent sur les messages que nous leur envoyons par courrier électronique, au fur et à mesure des développements des activités présidentielles. Cette mutualisation des informations est d’ailleurs le principe du pool.
J’avoue ne pas en mener large et ne pas avoir beaucoup dormi, ce 2 mars 2010, quand, trois mois après ma prise de poste, j’endosse pour la première fois les habits de « pooler » et dois donc raconter par le menu le déplacement qu’a prévu Obama dans la ville de Savannah en Géorgie, à une heure et demie de vol au sud de Washington. Le rendez-vous est donné à 8 h 30 à la base d’Andrews où se trouve l’avion présidentiel Air Force One. On ne monte pas dans l’avion sans montrer patte blanche : portails magnétiques, machines à rayons X sont de rigueur à l’entrée des bâtiments. Une fois dans la salle d’embarquement, des agents du Secret Service nous fouillent au corps pendant que des chiens policiers reniflent nos affaires et que des techniciens examinent tous nos appareils électroniques.
Une fois dotés d’une accréditation spéciale, nous pouvons nous diriger vers le Boeing 747 parqué à quelque deux cents mètres de l’aérogare. Dans la cabine de presse, chacun a son siège attribué : les « poolers », le principal et son adjoint, disposent des deux places de la rangée de gauche, tandis que les représentants des agences de presse incluses en permanence dans le pool se trouvent à droite, avec le privilège d’un accès aux hublots. Tout juste installés, un message résonne dans la cabine : « Le Président a décollé il y a cinq minutes » (de la Maison-Blanche). Sauf pluie battante ou tempête de neige, qui signifient trajet routier, la distance entre la Maison-Blanche et Andrews s’effectue en effet dans l’helicoptère Marine One, depuis des lustres un « Sea King » spécialement équipé : c’est devant ce même type d’appareil – lancé en 1961 – qu’avait été prise la fameuse photo de Richard Nixon faisant les « V » de la victoire sur les marches de l’aéronef.
À Andrews, la douzaine de journalistes du pool ressortent alors de l’avion pour s’installer sous son aile gauche, en attendant le Président. En fait de Marine One, ce sont trois « Sea King » que nous voyons approcher: tous trois sont identiques, et leurs immatriculations écrites en petits caractères pour éviter leur repérage du sol. On l’aura compris, deux d’entre eux sont des leurres : s’il venait à l’idée de quiconque de tirer un missile sol-air sur l’un des appareils, il n’aurait qu’une chance sur trois de toucher celui qui transporte le Président. Le Marine One véritable finit par s’immobiliser à une centaine de mètres à l’avant d’Air Force One. Commence alors un manège bien huilé : un marine en grand uniforme sort le premier par l’avant de l’hélicoptère, va ouvrir la porte de derrière ; les deux gardes du corps principaux d’Obama le suivent et se disposent de chaque côté de l’appareil, dont Obama s’extrait après avoir serré la main des pilotes. Au pied de la passerelle d’Air Force One, deux responsables de la base d’Andrews, eux aussi en grand uniforme et la poitrine barrée de décorations, se sont figés dans un salut militaire. Obama le leur rend, en grimpant quatre à quatre les marches vers l’entrée de l’appareil. Les appareils photo cliquètent en choeur, mais déjà les réacteurs se mettent en route et c’est la bousculade devant la passerelle arrière du 747, l’entrée réservée aux « petites mains ».
Nous sommes à peine assis dans la cabine de presse qu’Air Force One s’ébranle. Rien à voir avec les interminables séances de « taxi » des jets commerciaux. Toute la base d’Andrews s’immobilise lorsque décolle l’oiseau blanc et bleu ciel du Président. À noter toutefois, les deux 4 × 4 bourrés d’hommes en armes qui escortent l’appareil jusqu’en bout de piste, où il effectue un « point fixe » de pure formalité avant de s’envoler en trombe. Pour nous à l’intérieur, l’heure n’est pas vraiment à la relaxation : lorsque Obama voyage en dehors de Washington, le « briefing » quotidien dans la salle de presse de la Maison-Blanche est en effet remplacé par un bref point de presse – entre dix et vingt minutes – donné par l’un des porteparole d’Obama. Les trois agences de presse, la radio, la télévision et les journaux représentés dans la cabine l’interrogent sur les sujets du jour, politique intérieure ou grands dossiers internationaux. Nous prenons fébrilement des notes sur nos téléphones portables : à l’atterrissage, il nous faudra envoyer tout de suite la quintessence des déclarations aux reporters restés au sol. Parfois, le point de presse se produit au début d’un voyage transcontinental, vers la Californie ou le Nevada. Mais le plus souvent Air Force One n’effectue qu’un saut de puce vers un État tout proche et c’est sous pression que nous rédigeons nos messages électroniques pour les quelque 8 000 abonnés de la liste de diffusion de la Maison-Blanche. En pleine marée noire dans le golfe du Mexique, quand Obama avait interrompu un week-end à Chicago pour aller inspecter les plages de Louisiane, son porte-parole Robert Gibbs avait même terminé son point de presse debout, cramponné à l’encadrement de la porte, au moment où le 747 se posait !
À l’arrivée, que ce soit donc à Cleveland ou à Seattle, le manège du départ se reproduit, mais en sens inverse : les reporters prennent à nouveau place sous l’aile de l’appareil, les photographes saisissent le moment où Obama descend la passerelle, en bas de laquelle l’attendent des responsables locaux et souvent, une cinquantaine d’admirateurs grâce auxquels le Président s’offre un mini-bain de foule. Puis nos accompagnateurs, membres du staff de la Maison-Blanche – ils sont surnommés wranglers, les « dompteurs » –, lancent le cri de rappel : « Let’s go guys, let’s go ! » (« Allez, les gars, on y va ! »). Commence alors une séance de montagnes russes : pendant que le Président grimpe dans sa limousine qui l’attend à quelques mètres d’Air Force One, journalistes et photographes piquent un cent mètres vers les véhicules qui leur sont dévolus au sein du convoi. Là encore, quel que soit l’endroit visité, trois minibus sont réservés aux membres du « pool ». L’étiquette est précise et les photographes ouvrent toujours la marche, suivis des agenciers puis des « poolers » de presse écrite. Ces quelques secondes d’avance peuvent faire la différence lorsque le Président s’arrête quelque part et commence à s’entretenir avec ses administrés.
Ces trois minibus se révèlent aussi exigus que malaisés d’accès, je plains mes collègues plus âgés ou corpulents qui doivent se contorsionner pour en atteindre les places du fond. Nous devons tous à ces véhicules quelques torsions lombaires et ecchymoses mémorables, occasionnés dans la précipitation. Car la limousine du Président n’attend pas : une fois en branle, le convoi trace sa route et ne s’arrête pour personne. La composition de cette impressionnante file de véhicules, une trentaine au total, mérite que l’on s’y arrête un instant. Trois voitures des forces de police locales ouvrent la route, à un intervalle précis, pour s’assurer que personne n’a réussi à s’infiltrer malgré les mesures de sécurité : généralement, des centaines de policiers ont été réquisitionnés pour bloquer les voies d’accès aux artères que le convoi emprunte, y compris les allées donnant sur des propriétés privées. La troisième voiture est le « guide » du convoi, accompagné ou non de motards : elle précède deux limousines identiques, jusqu’à la plaque « 800 002 » qu’arborent tous les véhicules transportant, ou censés transporter, le Président. Obama a pris place derrière les vitres fumées de l’une d’entre elles, mais difficile de savoir laquelle. Comme avec Marine One, le Secret Service joue sur la réduction des risques par la multiplication des cibles potentielles.
Le Secret Service, justement : les limousines sont suivies d’un gros 4 × 4 noir bourré de membres de cette force d’élite armés jusqu’aux dents, a priori en mesure de repousser l’assaut d’un commando armé en cas d’attentat de type « Petit-Clamart », cette attaque de plusieurs tireurs contre le convoi du général de Gaulle en 1962 au sud de Paris. Derrière le 4 × 4 de ces « Terminator » en treillis noir et aux armes automatiques bien en vue en arrive un autre doté d’antennes et de radars, chargé des contre-mesures électroniques, notamment la neutralisation du signal éventuel d’une bombe télécommandée. Suivent plusieurs autres 4 × 4, dans lesquels se trouvent l’aide de camp militaire du Président avec les codes nucléaires, le médecin et autres membres du cercle rapproché. Et les minibus de la presse sont précédés d’un autre véhicule étrange, de forme carrée et lui aussi hérissé de capteurs et d’antennes : sa mission est de « renifler » les alentours pour s’assurer qu’une attaque bactériologique, chimique ou radioactive n’est pas en cours. Que les reporters ne se fassent pas d’illusions, ce n’est pas de leur santé que l’on s’inquiète, et l’ambulance, tous gyrophares allumés, qui ferme la marche avec d’autres voitures de police, n’a qu’un seul client potentiel : le Président.
Au total donc, il faut compter au moins vingt et plus souvent trente véhicules dans le convoi officiel. Et ce, qu’Obama soit en visite officielle au Chili, en tournée électorale en Pennsylvanie, ou en déplacement de week-end pour aller entraîner ses filles au basket. Les règles du Secret Service sont strictes : si le Président doit effectuer deux cents mètres ou cent vingt kilomètres à découvert, cela se déroulera en convoi. Obama luimême, au début de sa présidence, est effaré de la logistique qu’implique le moindre de ses mouvements. Derrière la limousine, « il y a la cambuse, le traîneau à chiens, le sous-marin… des tas de trucs ! » plaisante-t-il.
Voyager avec Obama aux États-Unis permet d’aller là où le touriste ne va pas et d’avoir un aperçu très varié du pays, des marécages de Louisiane aux lacs gelés du Wisconsin, en passant par les montagnes Rocheuses et les tours de Manhattan. Mais le Président privilégie souvent les établissements scolaires ou universitaires, les PME et les bases militaires qui parsèment le pays. Je me souviens en particulier d’une visite à l’automne 2011 dans la base de Langley-Eustis de Virginie, non loin de l’Atlantique, d’où décollent les F-22 « Raptor », des jets ultramodernes à 150 millions de dollars pièce. Obama venait y annoncer, sous un hangar et face à une marée d’uniformes, un partenariat avec des sociétés privées pour recruter des anciens combattants revenus d’Irak et d’Afghanistan. Ce qui nous avait le plus impressionnés, toutefois, était d’avoir été fouillés dans une casemate où étaient entreposés des dizaines de missiles. À se demander si le flair des chiens du Secret Service n’était pas un peu troublé par ces quantités d’explosifs.
"Dans les Pas d'Obama", par Tangi Quéméner. Editions JC Lattès, 380 pages, 20 euros.