Dans les pas d'Obama : au pays de l'information heureuse
Depuis fin 2009, le correspondant de l'AFP à la Maison-Blanche TangiQuéméner est le seul reporter non anglophone à suivre au quotidienBarack Obama. Il publie le 12 septembre aux éditions JC Lattès "Dans les pas d'Obama", un "portrait rapproché" du 44ème président des Etats-Unis et de sonstyle d'exercice du pouvoir. Le blog Making-of publie les bonnesfeuilles de ce palpitant essai.
Dans ce second volet, Tangi Quéméner raconte le verrouillage de la communication du président. L’« obamania » a vécu. Place à la défiance entre des journalistes désenchantés et fatalistes et une équipe de communicants adepte d'un mélange d'information officielle aseptisée et de contacts directs avec les Américains via les réseaux sociaux.
WASHINGTON, 11 septembre 2012 - On l’aura compris, la Maison-Blanche, comme le défunt hebdomadaire Jours de France, préfère l’actualité heureuse, quitte à froisser les journalistes sourcilleux. Certains reporters qui avaient couvert la campagne d’Obama en 2007-2008, et l’ont accompagné ensuite à la Maison-Blanche, sont tombés de haut. Le 15 août 2007, le sénateur-candidat, qui était encore loin d’apparaître comme le favori de la course aux primaires démocrates, avait critiqué la Maison-Blanche de George W. Bush pour son manque de transparence, et avait promis de remédier à cela dans sa future administration. Au lendemain de son installation dans la résidence exécutive, le 21 janvier 2009, il était venu visiter la salle de presse. « Nous essaierons d’avoir une relation de respect, dans laquelle vous aurez l’impression d’obtenir vraiment des réponses », avait-il promis aux correspondants accrédités.
Les commentateurs conservateurs américains, au début de la campagne d’Obama, avaient ironisé sur l’« obamania », l’adulation que les journalistes étaient censés éprouver pour Obama, un homme politique d’une nouvelle trempe, promettant le changement, en tout cas une attitude différente de celle de Bush vis-à-vis des libertés publiques en général et de la liberté de la presse en particulier. Obama, pince-sans-rire, avait affirmé lors de son premier dîner des correspondants à la Maison-Blanche, début mai 2009 : « Certains d’entre vous ont couvert ma campagne, et vous avez tous voté pour moi ! »
Le désenchantement et le fatalisme de la salle de presse sont pourtant devenus palpables dès les premiers mois de la présidence. Dès le 29 janvier 2009 – neuf jours après l’entrée en fonctions d’Obama –, la « Columbia Journalism Review » (CJR), l’une des publications de référence sur les médias, sonne l’alarme : « Jusqu’ici, l’administration Obama semble traiter ses opposants politiques avec plus de sollicitude et d’intelligence qu’elle ne le fait avec les journalistes », affirme David Cay Johnston, un ancien du New York Times lauréat du prix Pulitzer. Après plusieurs accrochages téléphoniques, Johnston estime que le service de presse « est en train d’oeuvrer contre les promesses de changement et de transparence de la campagne du président Barack Obama ». Un article prophétique !
En premier lieu, les journalistes déplorent un manque d’accès à Obama : il peut se passer plusieurs jours sans que le « pool » de la Maison-Blanche ait l’occasion de voir le Président pour solliciter un avis ou une réaction. George W. Bush, dont la présidence entretenait des relations tendues avec la presse, se prêtait de relativement bon coeur à ces séances de « questions volées ». Bill Clinton, réputé adorer les médias qui le lui rendaient bien, du moins jusqu’au scandale sexuel Monica Lewinsky, ne refusait jamais de répondre à un journaliste qui l’interpellait à l’improviste. Mes collègues déjà en poste dans les années 1990 se souviennent même que le quarante-deuxième président venait les chercher dans Air Force One pour des discussions informelles en plein milieu de la nuit !
Rien de tout cela pour Obama, qui ne s’arrête jamais entre le Bureau ovale et son hélicoptère pour discuter avec les reporters, répugne de toute évidence à répondre à des questions lancées à la fin de ses interventions, n’apparaît qu’assez rarement dans la cabine de presse d’Air Force One et préfère (...) les entretiens télévisés en tête à tête, a priori moins risqués.
Pour certains de mes collègues, Obama et son équipe expriment ouvertement leur mépris du « quatrième pouvoir », estimant avoir établi une relation spéciale et directe avec les Américains après latriomphale campagne de 2008. Cette relation passe en particulier par les réseaux sociaux sur Internet, dont la Maison-Blanche fait usage sans modération. Obama participe ainsi à des « réunions publiques virtuelles » via les services vedettes de l’Internet participatif : Twitter, Facebook, LinkedIn se sont prêtés à ces opérations lors desquelles les internautes posent des questions qui, après avoir été modérées, sont soumise à Obama. Le 30 janvier 2012, la Maison-Blanche franchit une nouvelle étape en qualifiant d’« interview» ces interventions sur Google+ et YouTube alors qu’aucun journaliste n’est impliqué dans le processus. De là à soupçonner l’équipe Obama de trier les questions et de retirer celles qui pourraient mettre le Président en difficulté, il n’y a qu’un pas, que Carney réfute le même jour dans son point de presse. « Je sais que nous ne sélectionnons pas les questions. Si nous pouvions le faire, nous le ferions ! » plaisante-t-il. Rires jaunes dans la salle de presse, où l’on apprécie aussi moyennement la propension de Dan Pfeiffer, le directeur de la communication de la présidence, à annoncer sur Twitter, donc au monde entier, des informations quelques minutes avant qu’elles ne nous parviennent via la liste de diffusion électronique officielle réservée aux journalistes. Et Carney s’adonne de temps en temps à des téléconférences de presse en cent quarante caractères sur Twitter, baptisées « première question », avant même le briefing. Une façon de plus de diffuser la bonne parole sans contradicteur.
Obama n’est pas non plus un amateur de grandes conférences de presse, contrairement à certains présidents récents comme Clinton et Reagan, qui excellaient en la matière. Il en donne tout de même en moyenne plus que son immédiat prédécesseur, Bush junior. Mais il laisse passer cinq mois pendant l’hiver 2011-2012 sans sacrifier à cet exercice. Encore faut-il mentionner une anecdote révélatrice : lors de ces grandes occasions, généralement dans l’East Room, le Président possède sur lui une liste numérotée de journalistes, qu’il invite à l’interroger au fur et à mesure. Évidemment, il ne connaît pas la teneur de la question, sauf à solliciter le correspondant d’un média spécialisé. Mais il n’est pas pensable pour un journaliste de lever la main afin d’attirer l’attention du Président. Et (...) Obama a peu de patience pour le « droit de suite », quand un journaliste remet en cause sa réponse et essaie de l’approfondir par une nouvelle question. « Nous ne sommes pas en train de papoter », riposte-t-il un jour à l’un de mes collègues de l’agence Bloomberg.
Ce contrôle, on le retrouve dans la machine de communication redoutablement efficace de la présidence, dotée de plusieurs équipes de télévision qui réalisent et diffusent sur le site Internet officiel « whitehouse.gov » tous les vendredis des vidéos « clés en mains » intitulées « West Wing Week ». Il s’agit d’un résumé de la semaine présidentielle écoulée. Mais si Obama traverse une période de doute, s’il s’écharpe avec ses conseillers ou s’il trébuche en sortant du Bureau ovale, ce n’est pas là qu’on l’apprendra. Il s’agit de belles images, accompagnées de commentaires légers, du même tonneau que les interminables séquences d’activités officielles que les télévisions des dictatures infligent à leurs administrés.
Une autre tendance lourde dans les rapports qu’entretient la Maison-Blanche d’Obama avec les médias traditionnels fait grincer des dents mes collègues photographes. Certaines activités du Présidentsont évidemment discrètes voire secrètes, et aucun photojournaliste ne prétend accéder à la « Situation Room », la salle de gestion des crises au sous-sol de la Maison-Blanche, en plein débat de sécurité nationale. En revanche, de nombreuses occasions officielles, comme la promulgation de lois importantes dans le Bureau ovale, sont fermées à la demi-douzaine de photographes du « pool ». Ilssurnomment cela le phénomène du « pool Flickr » : la photo léchée, généralement due au photographe officiel Pete Souza, apparaît quelques heures plus tard sur la section du site Internet de partage d’images qu’entretient la Maison-Blanche.
Parfait exemple le 19 avril 2012. La veille, Obama a participé à une réunion de levée de fonds dans le musée Henry-Ford de Dearborn dans le Michigan, un endroit où sont exposés des véhicules ayant joué un rôle dans des événements historiques. On y trouve en particulier la Lincoln présidentielle dans laquelle Kennedy fut assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas, et le bus municipal de Montgomery (Alabama) où Rosa Parks, une couturière noire, avait été interpellée en 1955 pour avoir refusé de laisser son siège à un Blanc. Son geste et son arrestation avaient donné le coup d’envoi au mouvement de boycott des transports publics de la ville et l’incident reste l’un des faits majeurs du mouvement de lutte pour les droits civiques.
Obama, premier président noir des États-Unis et héritier auto-revendiqué de la lutte des Noirs américains, ne pouvait pas manquer cette occasion. Il entre dans le bus. « Je suis simplement resté assis pendant un moment, et j’ai médité sur le courage et la ténacité qui font partie de notre histoire récente », explique-t-il ensuite. Souza immortalise Obama en train de regarder par la fenêtre de ce bus. Mais les photographes du « pool » ne peuvent que le constater sur le site Internet de la Maison-Blanche : la seule photo de ce moment fort sera officielle. Pendant la visite du musée, les reporters étaient parqués dans des minibus à l’extérieur…
D’aucuns pourraient répliquer qu’il s’agit de problèmes mineurs. C’est oublier que même un événement routinier peut donner lieu à une image particulière. En livrant une photo prémâchée, sur laquelle Obama n’apparaît jamais ni fatigué ni en colère, la Maison-Blanche essaie de manipuler l’opinion. En protestation, les agences de presse refusent d’utiliser les photos officielles pour les diffuser à leurs clients, à quelques exceptions près, la plus évidente étant le cliché qu’avait pris Souza dans la « Situation Room » lors de l’opération contre le repaire d’Oussama Ben Laden au Pakistan le 1er mai 2011, et qui montre Obama et son équipe de sécurité nationale figés par la tension.
Le 14 février 2012, Obama lui-même laisse échapper son opinion sur la question, avec une expression qui sera très mal prise par les photographes accrédités. Le Congrès partiellement aux mains des républicains vient enfin de se résoudre à prolonger jusqu’à la fin de l’année les dispositifs sociaux et fiscaux que demandait le Président. Ce dernier célèbre cette victoire par une intervention publique à la Maison-Blanche, entouré de personnes qui l’ont soutenu dans cette entreprise. Il les encourage à ne pas baisser la garde, « jusqu’à ce que vous ayez vu une photo de moi en train de signer [cette loi] à mon bureau. Vérifiez bien que c’est certifié. Si ce n’est pas sur le site Internet de la Maison-Blanche, c’est que ça n’a pas eu lieu ». Une singulière déclaration de désamour aux photographes du « pool », le jour de la Saint-Valentin !
"Dans les Pas d'Obama", par Tangi Quéméner. Editions JC Lattès, 380 pages, 20 euros.