Un rebelle fait feu sur les positions des troupes gouvernementales à Deir Ezzor, le 27 septembre 2013 (AFP / Abou Chouja)

Mort d’un Courageux

NICOSIE, 30 sept. 2013 – Il avait 26 ans et n’avait pas vocation à devenir photojournaliste. Mais il avait choisi l’image pour témoigner de la situation dans son pays, la Syrie. Mourhaf al-Modahi, alias Abou Chouja, a été tué dans un bombardement, samedi 28 septembre, dans sa ville de Deir Ezzor, dans l'est de la Syrie. Il a été pris sous les bombes alors qu’il rentrait d’une petite fête de famille au cours de laquelle il avait célébré le diplôme d’économie qu’il venait tout juste de décrocher.

Le photographe Mourhaf al-Modahi, alias Abou Chouja (photo: AFP / STR)

J’avais rencontré Mourhaf au mois de juin en Turquie, où j’animais un stage de formation pour une quinzaine de jeunes photographes syriens freelance.

A l’époque, comme c’était le cas pour toutes les personnes présentes, toutes issues de la rébellion, je ne le connaissais que par son pseudonyme, Abou Chouja, «Le Courageux».

Abou Chouja était un de ces nombreux jeunes Syriens devenus photographes un peu par la force des choses, plus par militantisme que par goût inné pour ce métier.

Mais il avait fait énormément de progrès et l’AFP avait publié, depuis fin juin, une vingtaine de ses photos, la dernière (celle en tête de ce billet, ci-dessus) pas plus tard que la veille de sa mort.

Un combattant rebelle et une petite fille traversent un pont endommagé par les bombardements à Deir Ezzor, le 2 septembre 2013 (AFP / Abou Chouja)

Une de ses images les plus marquantes restera celle de ce combattant rebelle encagoulé franchissant, à moto, un pont à moitié détruit par les bombes, une petite fille à califourchon devant lui. Cette image dégage une atmosphère étrange, au milieu de cette scène de destruction, avec ce motard masqué qui fait inévitablement penser à un kidnappeur d’enfants… Qui est cet homme? D’où vient-il ? Où va-t-il avec cette fillette? On ne le saura jamais. Abou Chouja ne le savait probablement pas lui-même.

Un homme marche au milieu d'immeubles détruits par les combats à Deir Ezzor, le 6 septembre 2013 (AFP / Abou Chouja)

La guerre civile en Syrie est la première au cours de laquelle les reporters pigistes locaux, dont la plupart ne sont pas des fous de la profession mais y sont entrés par la force des choses, jouent grâce à internet un rôle aussi crucial pour la diffusion de l’information. La tendance avait commencé avec le conflit palestinien mais c’est en Syrie qu’elle prend toute son ampleur. Cette guerre devient de plus en plus compliquée et dangereuse à couvrir: il se crée de nouvelles factions rebelles à chaque instant, les djihadistes accroissent leur emprise, on ne sait plus qui est qui, qui contrôle quoi… S’en remettre à des professionnels locaux comme Abou Chouja est indispensable pour avoir, quotidiennement, des images de l’horreur qui frappe ce pays.

Un rebelle pendant des combats avec les troupes gouvernementales à Deir Ezzor le 29 juin 2013 (AFP / Abou Chouja)

Il est probable qu’Abou Chouja, une fois la guerre terminée, aurait rangé son appareil et fait un tout autre métier. Il n’est pas mort en prenant des photos mais parce qu’il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, comme des milliers de victimes de la guerre en Syrie. Une fin tristement «ordinaire» pour un «Courageux» parmi d’autres.

Funérailles d'Abou Chouja à Deir Ezzor, le 29 septembre 2013 (AFP / Ahmad Aboud)

Patrick Baz est le directeur de la photo AFP pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.

Patrick Baz