Mexico, vrais et faux clichés

Mexico City - Lorsque l'on s’installe pour quelques années au Mexique, en plus des valises, d’un vélo et d’une guitare, on débarque alourdi d’une bonne dose de clichés: le Mexique c’est violent, l’air y est irrespirable, les routes suicidaires, les tremblements de terre trop fréquents, la corruption palpable à tous les étages...

Après quelques semaines passées dans la capitale, une première conclusion s’impose : tout est vrai, ou presque.

La violence 

Pare brise criblé de balles à Culiacan, Etat de Sinaloa, 17 octobre 2019 après un échange de tirs entre des hommes armés et forces de sécurité. (AFP / Rashide Frias)

Au Mexique, pas un jour ne se passe sans son lot de morts violentes : lutte contre les cartels, règlements de compte entre gangs rivaux,  vols à l’arrachée qui tournent mal ou féminicides. Les chiffres officiels parlent d’eux-mêmes : 250.000 meurtres depuis le début de l’offensive fédérale contre les cartels fin 2006, quelque 40.000 disparus.

Et encore 3.366 féminicides depuis 2015, le nombre le plus élevé dans toute l’Amérique latine. Sans oublier la centaine de consœurs et confrères assassinés depuis 2000, dont Javier Valdez, notre correspondant  à Mexico, tué par balle le 15 mai 2017 à Culiacan, dans l'Etat de Sinaloa (nord-ouest). La photo qui suit a été prise par Hector Parra lors de son enterrement....

Les voitures et la pollution

Conjuguée à l’altitude de Mexico, 2.240 mètres, la pollution rend effectivement la respiration pénible, surtout durant les premiers jours. S’emplir les poumons sans arrière-pensées apparaît compliqué. Surtout lorsqu’à proximité, accélèrent les très locaux peseros, microbus antédiluviens toujours bondés, en crachant leurs fumées noires aux visages des passants. 

Sans parler des pots d’échappement des camionetas, le pendant mexicain des SUV américains, apanage des chilangos fortunés qui ont entre autres qualités celles d’habiter dans les beaux quartiers et d’être peu portés sur l’écologie. Ceux-là confondent souvent ville et champ de bataille, et se rient de leur environnement pour rentrer plus rapidement chez eux. A tout prix.

Mexico City 6 décembre 2017 (AFP / David Gannon)

Ainsi, si l’accueil que les Mexicains réservent aux étrangers est d’une chaleur incontestable, sur la route, c’est la guerre. Là, certains Mexicains se métamorphosent en tankistes. Ce type de conducteur fonce sur tout ce qui bouge, y compris beaucoup plus corpulent que lui et préfère donner un brusque coup de volant afin de raser de près un piéton, même imberbe, plutôt que de lui céder le passage. 

Mot d’ordre : ne jamais attendre, ne ralentir qu’en cas d’extrême nécessité, autrement dit rarement. Qui n’a pas traversé un carrefour à Mexico n’a jamais connu la sensation étrange du miraculé émerveillé d’être parvenu en une seule pièce jusqu’à l’autre rive.

Volkswagen Beetle à Buenavista de Cuellar, Etat de Guerrero, 26 juin 2015. (AFP / Pedro Pardo)

L’expérience du vélo vaut aussi le détour.  Certes, ces dernières années, de gros efforts ont été entrepris par la mairie de Mexico pour promouvoir la sécurité des cyclistes de plus en plus nombreux, en construisant notamment un réseau de pistes dans le centre-ville aux alentours du grand parc des Sauterelles ou Bosque de Chapultepec, le Central Park de Mexico.

 

Parc de Chapultepec, le "Central park" de Mexico, 14 août 2019 (AFP / Rodrigo Arangua)

Mais force est de constater qu’ils sont encore insuffisants. Dans un pays où le permis de conduire s’achète, y compris pour les  motos, et où l’apprentissage de la conduite n’est pas obligatoire, les règles sont méconnues.

Sans nécessairement avoir le sentiment de mal agir, des conducteurs garent leur voiture sur les pistes cyclables, d’autres tournent en les coupant à angle droit sans regarder afin de gagner du temps à un carrefour, des camions ignorent les bornes qui les protègent le long des grandes artères et des motos oublient qu’elles ont un moteur. Même des mères de famille les empruntent, aux commandes de leurs poussettes. 

(AFP / Rodrigo Arangua)
(AFP/ Alfredo Estrella)

 

L’augmentation du nombre de vélos en circulation pousse la mairie de Mexico à investir plus avant dans l’éducation. Des agents expliquent aux automobilistes que renverser un cycliste, c’est mal, et que pédaler ne doit pas nécessairement mener au cimetière.

Mais un jour par semaine, pour les fans de vélo, la liberté est au rendez-vous. Chaque dimanche, les voitures sont bannies des artères du centre-ville alors investies par des milliers de cyclistes qui affluent avec familles et amis dans une ambiance de kermesse.

Manifestation de cyclistes nus contre les voitures et la pollution, 9 juin 2018 à Mexico. (AFP / Ronaldo Schemidt)

Aux carrefours, des volontaires armés de porte-voix leur expliquent les bienfaits du casque, l’importance de s’hydrater et se protéger du soleil, où réparer une crevaison. L’accalmie est de courte durée. Dès la fin de la journée, la jungle urbaine reprend ses droits et les vélos n’ont à nouveau qu’à bien se tenir.

Les séismes

Quant aux "sismos", les séismes, leur menace plane, omniprésente, et pas seulement dans l’inconscient collectif.

Un homme agite un drapeau dans le centre de Mexico pour marquer l'anniversaire de deux tremblements de terre redoutables, le 19 septembre 2017 (369 morts) et le 19 septembre 1985 (plus de 10.000 morts) . (AFP / Rodrigo Arangua)

De temps en temps -- quatre fois ressenties au cours des deux derniers mois -- un frémissement de la croûte terrestre vient rappeler à la population et aux nouveaux arrivés que le pire reste à venir. Dans les maisons, les bureaux, les salles de spectacle, les supermarchés, au coin des rues, dans les terminaux de bus, les aéroports, etc … des panneaux indiquent la marche à suivre ainsi que les lieux les plus préservés en cas de secousse.

Scène de rue pendant une secousse, le 16 février 2018 à Mexico . (AFP / Yuri Cortez)

Comme une incitation à respecter ces consignes – l’une d’elles, sans doute la plus utile, recommande de ne pas s’affoler --   les vestiges du dernier tremblement de terre, qui avait tué 369 personnes en 2017, sont encore visibles. Des pancartes accrochées sur des ruines d’immeubles effondrés informent que des travaux vont être entrepris pour les reconstruire. Aucune date n’est stipulée.

 

Vue aérienne d'un immeuble détruit par le tremblement de terre du 19 septembre 2017 à Mexico. (AFP / Miguel Tovar)

Et la corruption ? 

A mon stade, le seul constat possible c’est que la corruption est récurrente dans les conversations. Avec l’insécurité et la délinquance, c’est pour les Mexicains le sujet le plus préoccupant. Ils ont toutes les peines du monde à croire les discours de leur président Andres Manuel Lopez Obrador qui leur a promis, avant son élection, de faire le grand ménage. L’opinion qu’ils peuvent se faire de leurs dirigeants, des fonctionnaires et même des agents de police, censés faire respecter la loi et pourtant facilement corruptibles, s’en ressent fortement. Ils éprouvent pour eux le respect minimum, voire pas de respect du tout. Il suffit d’observer comment ils brûlent les feux rouges au nez et à la barbe des policiers qui s’époumonent dans leurs sifflets, mais sans le moindre effet. 

 

(AFP / Pedro Pardo)

 

Un instant, j’ai l’impression de marcher sous le soleil de Tel Aviv ou de Jérusalem … Même distraction hallucinée des chauffeurs-chauffards, Même habitude de regarder son téléphone portable surtout dans les virages, de s’arrêter (ou pas …) à trois millimètres d’une vieille dame qui traverse avec son chien … Mais là s’arrête la comparaison. Au Mexique, des agents, avachis sur leurs motos ou sirotant un coca-cola assistent à ce genre de  scène sans même lever un sourcil. En Israël, les policiers ont le doigt sur la gâchette … de leur pistolet laser qui photographie la plaque d’immatriculation du contrevenant et son sourire ahuri. Là, l’amende sera salée, sans compter le nombre de points de permis perdus …

Restent les Mexicains …

La grande difficulté est de concilier l’image qu’offrent certains d’entre eux..  et le sourire et la gentillesse de la majorité que l’on découvre jour après jour dans la rue, les administrations, les musées, dans la multitude de restaurants et de cafés. 

Dans ces derniers en particulier, on est très loin de la grisaille et de la morosité d’autres cieux. Le service y est le plus souvent attentionné, souriant, et parfois même … rapide. Sans parler de la carte, aussi riche qu’ensoleillée. Et pas uniquement dans les taquerias où l’on sert toute la journée les fameux tacos consommés sur le trottoir dans des assiettes en plastique.

(AFP / Ulises Ruiz)

Les « anciens » préviennent les gringos fraîchement débarqués de leur pays aseptisé, qu’ici la sinistre malédiction de Moctezuma risque de frapper violemment leur système digestif peu armé pour affronter les piments incendiaires et l’eau frelatée. L’expérience confirme qu’il est possible d’échapper à ce maléfice intestinal attribué à ce roi faible et indécis dont le règne marqua le début de la conquête espagnole du XVIème siècle.  Un cliché de plus sur le Mexique qui s’effondre, après deux mois passés ici. Allez, Chingale !

Peinture murale de l'Irlandais Fin Dac représentant Frida Kahlo à Guadalajara Etat de Jalisco (AFP / Ulises Ruiz)

Ce blog de Patrick Anidjar a été édité et mis en forme par Michaëla Cancela-Kieffer à Paris.

Patrick Anidjar