L'histoire ne fait que commencer
Villegailhenc, Aude (France) --L’histoire ne fait que commencer. Et on compte dix morts.
J’ai été prévenu au saut du lit, littéralement, par Olivier Morin, le redchef-photo France. Il m’a prévenu que c’était grave, et que cela avait l’air important. Je me suis aspergé le visage d’eau, ai avalé un café en regardant le site de l’Indépendant, et puis j’ai filé.
Je rentre de vacances et donc je suis parti avec mon appareil photo perso et l’ordinateur portable du bureau. Mais pas le temps de passer à ce dernier. J’habite à 20 minutes de Toulouse.
Je voulais aller à Trèbes, mais en écoutant France-Info j’ai entendu qu’il y avait des morts à Villegailhenc. J’y ai accédé facilement. Il pleuvait ce matin mais la route était très praticable.
Il y avait juste des champs inondés.
Quand j’ai laissé ma voiture à l’entrée du village, au barrage établi par les pompiers, le souvenir des inondations de Nîmes m’est revenu à l’esprit. C’était en septembre 1988, il y a trente ans. Le premier gros épisode cévenol à frapper la ville. J’avais couvert la catastrophe, et puis ensuite celle de Vaison-la-Romaine.
Je suis entré dans le village à pied. Et j’ai vu les voitures entassées les unes sur les autres. C’a été un drôle de moment. Sans agitation, avec des gens qui déambulent, qui discutent dans la rue et qui font des photos avec leurs téléphones.
Il n’y avait pas trop d’affolement. Je pensais voir des gens émus, mais ils n’en avaient pas l’air, pas encore, parce qu’ils étaient sous le choc je crois. Ça viendra plus tard sans doute.
Je suis entré dans un lotissement, et puis chez des gens. Ils m’ont dit qu’ils étaient réfugiés à l’étage. Qu’on ne leur avait rien dit sur ce qui se passait. Qu’ils ont eu peur de mourir.
Pour aller vite j’ai pris les premières photos avec mon téléphone, pour ne pas avoir à revenir à ma voiture pour transmettre. Je les ai envoyées par mail et le desk à Paris m’a dit que c’était parfaitement utilisable. Ça permet de servir rapidement les abonnés de l’agence, qui veulent des photos tout de suite pour leurs sites internet et leurs applications.
Et puis je me suis enfoncé dans le village pour faire mes vraies photos. Celles que tu envoies rapidement te permettre de soulager la pression pour travailler ensuite plus sereinement.
Je suis tombé sur une opération d’hélitreuillage, un pont coupé par la violence du flot, des destructions en tout genre.
J’ai transmis tout ça ensuite depuis la voiture.
Le bilan est énorme, on en est à 13 morts pour l’instant dans le département de l’Aude. Je ne le comprends pas bien. En même temps il n’est peut-être pas si étonnant quand on voit la violence du phénomène.
L’eau a transporté une énorme benne de chantier, qui bloque quasiment une rue. La rivière est sortie de son lit et a tout emporté, les arbres et les voitures. Là je me trouve dans une ruelle de trois mètres de large et la chaussée a été complètement défoncée. Une maison est écroulée.
Je vais rester là jusqu’au soir. Mon collègue du bureau de Toulouse, Pascal Pavani, est à Trèbes, qui a été aussi lourdement touchée.
Je rentre ce soir et je reviendrai demain. Ils commenceront à nettoyer. Et puis après on aura les obsèques. L’histoire ne fait que commencer.
P.S.: le lendemain, 16 octobre, le bilan s'élevait à au moins onze morts.
Ce billet a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.