La Porsche qui flambe
NANTES (France) – Photographier une manifestation qui dégénère, comme celle contre la loi sur le travail le 28 avril à Nantes, c’est s’exposer à coup sûr aux critiques. Que vous photographiiez le cortège officiel, les violences perpétrées par les militants radicaux ou les casseurs, une charge policière ou une interpellation musclée, on vous accusera toujours d’être partial, de ne montrer sciemment au public qu’un aspect des choses.
Il en va bien sûr de même avec cette Porsche incendiée qui a fait beaucoup jaser sur la toile, et que nous sommes plusieurs à avoir photographiée et filmée. Une voiture de luxe qui brûle pendant une manifestation… L’image est devenue un symbole de la colère sociale contre les réformes en France, même si c’est évidemment réducteur.
C’est la cinquième manifestation contre la loi travail que je couvre à Nantes, et aussi la plus mouvementée. Depuis le début des protestations, la violence est allée crescendo. L’action des forces de l’ordre s’est faite de plus en plus vigoureuse aussi, avec des charges à la matraque et beaucoup de gaz lacrymogènes.
Nous, journalistes, sommes très souvent pris à partie pendant ces manifestations. Nous sommes littéralement pris entre deux feux. Je ne sais pas si la majorité des agressions verbales et physiques dont nous sommes les cibles sont le fait de militants anarchistes qui n’aiment pas les médias, ou bien de simples voyous qui aimeraient bien nous dépouiller de notre matériel. Je penche plutôt pour la seconde hypothèse. Nous nous efforçons de laisser le plus de champ possible entre nous et le lieu de l’action, et de ne jamais nous retrouver seuls dans la mêlée.
Ce jeudi 28 avril, la manifestation a commencé depuis un petit moment quand des incidents éclatent du côté de la préfecture de Nantes. Des gendarmes mobiles repoussent les protestataires à l’aide de canons à eau. Tout à coup, de la fumée noire s’élève dans le ciel. C’est la Porsche qui commence à brûler. Je n’ai pas vu le moment où le ou les assaillants mettaient le feu à la voiture. Avec mon collègue Jean-Sébastien Evrard, qui ce jour-là travaille comme reporter vidéo pour l’AFP, nous nous précipitons pour la photographier et la filmer. Rapidement, car la situation est très tendue, des pierres volent et il s’agit de ne pas rester exposé trop longtemps.
Je me suis bien sûr aperçu de la marque du bolide mais pour moi, au départ, c’est juste une voiture qui brûle. Ce n’est qu’après-coup que le côté symbolique de la scène me saute aux yeux.
La photo a eu un gros succès dans les médias et sur les réseaux sociaux. Et pourtant j’ai trouvé la scène moins impressionnante que l’autre incendie de voiture auquel j’ai assisté à Nantes, le 31 mars. Ce jour-là, toujours en marge d’une manifestation contre la loi sur le travail, un groupe de casseurs avait allumé un grand feu de poubelles et avait poussé une voiture dedans. C’était une vieille guimbarde, une Citroën Saxo je crois. Typiquement la voiture de Monsieur Tout le monde. Elle avait finie complètement carbonisée. C’était très choquant. Le lendemain, un quotidien régional avait révélé qu’elle appartenait à un interne de l’hôpital de Nantes qui, au moment où elle brûlait, était en train de soigner des blessés de la manifestation.
Mais cela n’avait pas fait le buzz.
(Cet article a été écrit avec Roland de Courson à Paris)