A l'affût sur la butte aux espions
BELO HORIZONTE (Brésil), 13 juin 2014 – Il faut d’abord quitter la route principale et emprunter une piste en terre battue qui se transforme ensuite en chemin goudronné. Ce chemin monte jusqu’au modeste quartier Jardim da Gloria à Vespasiano, une banlieue de Belo Horizonte. Au sommet de la colline, il y a une espèce de butte de terre d’où l’on jouit d’une vue panoramique sur la route, la vallée et les sierras qui l’entourent. L’endroit pourrait à la rigueur être qualifié de pittoresque. « Pourrait », car en réalité il est beaucoup plus que cela : car à 500 mètres en contrebas, on voit Cidade do Galo, le centre d’entraînement du club de football Atlético Mineiro, quartier général de la sélection argentine pour le Mondial 2014.
On ne sait pas trop qui a découvert cette butte en premier mais pour la presse argentine, elle est une mine d’or, un don du ciel, la bénédiction, le salut. Car en Argentine, tout le monde veut connaître les moindres faits et gestes de l’équipe « albiceleste », alors que la majorité de ses entraînements se déroulent à huis-clos. Pour nourrir tant bien que mal l’inépuisable soif d’informations dans leur pays, les photographes et reporters argentins s’installent donc sur la butte dès les petites heures du matin pour espionner leur sélection nationale.
Palacio s’est-il remis de sa blessure, ou bien s’entraîne-t-il toujours séparément ? Garay va-t-il être titulaire ? Quel schéma tactique va déployer l’entraîneur Alejandro Sabelle lors du match inaugural contre la Bosnie ? Pas facile de répondre à toutes ces questions rien qu’en regardant l’équipe de loin, à travers une petite percée dans les arbres qui protègent l’un des quatre terrains de football du complexe. Mais c’est la seule option disponible, en dehors du site officiel de l’Association argentine de football, des comptes Twitter des joueurs et, bien sûr, des sources secrètes des uns et des autres.
« Eh, voilà Di Maria ! Messi est à côté avec le gilet orange ! » crie un photographe. Tous ses collègues se précipitent pour avoir une meilleure perspective sur ce qui se passe là-bas au loin. Les reporters texte, qui n’ont pas de puissants téléobjectifs à leur disposition, ne voient que de minuscules poupées qui s’agitent dans le lointain.
Mais qu’importe, il nous faut « informer » coûte que coûte. Un collègue d’une radio prend l’antenne en direct et se met à parler de Palacio et de sa blessure à la cheville. A côté de lui, un autre journaliste opte pour le bouche-trou classique : rappeler des statistiques des précédentes coupes du monde. Les deux ne se prennent pas trop au sérieux, conscients de l’absurdité de la situation. « Nous les journalistes on finit toujours par faire des trucs tirés par les cheveux », se gausse l’un.
Les habitants du quartier ne mettent pas beaucoup le nez dehors. Au coin de la rue, il y a une maison de deux étages aux murs de brique pas encore peints. L’étage supérieur jouit d’une vue plongeante sur Cidade do Galo, et son propriétaire a essayé de le louer au plus offrant. Mais pour le moment, aucun média n’a mordu à l’hameçon. Sur la butte, la solidarité et l’esprit sportif règnent. Chacun veille à ce que personne ne se retrouve isolé. Bien que tout ait l’air calme autour de nous, nous ne nous sentons pas encore 100% en sécurité dans ce quartier inconnu.
La poussière vole, le soleil cogne et il n’y a aucun arbre sous lequel nous abriter. Une bande d’adolescents s’approche de nous, nous regarde avec étonnement puis s’en va sans oser engager la conversation. Puis arrive un groupe d’enfants avec un ballon. Joao, Gustavo et Adriao sont beaucoup moins timides. Ils ont entre onze et treize ans. Joao est un supporter de l’Atlético Mineiro. Gustavo et Adriado sont pour le Cruzeiro. Ils commencent à jouer au foot sur la butte.
Pour les photographes, c’est le moment artistique du jour : des gamins d’un quartier pauvre du Brésil qui tapent le ballon pieds nus dans un terrain vague avec vue sur la sélection argentine, la vallée, les collines. La carte postale idéale, celle qui peut très bien se retrouver à la une de tous les quotidiens le lendemain, ou bien devenir virale sur les réseaux sociaux.
Il est midi. Le photographe Juan Mabromata et moi descendons jusqu’à la porte d’entrée de Cidade de Galo. Quelques supporteurs argentins agitent des drapeaux près de la barrière installée par la police militaire devant une arche où figure l’inscription « bienvenue » en espagnol et en portugais. Encore un peu de grain à moudre.
Le lendemain, pour une fois, l’entraînement des Argentins est ouvert au public. Nous regardons les joueurs évoluer sur le terrain pendant une quinzaine de minutes, puis nous assistons à une conférence de presse. Ouf, pas besoin d’aller cuire des heures sur la butte aujourd’hui.
Mais nous y retournerons. Nous le savons. Et je ne veux pas imaginer en quoi cet endroit se transformera dans quelques semaines si les pronostics se réalisent, et si l’Argentine se hisse vers la finale du Mondial…
Mariano Andrade est correspondant de l’AFP à New York, actuellement envoyé spécial à Belo Horizonte pour le Mondial 2014.