Sous Gaza, dans les tunnels du Jihad islamique
GAZA, 12 mars 2015 - Le premier coup de fil est arrivé soudainement: il faut nous tenir prêts. Puis un second, « prenez la route côtière ». Enfin, un troisième nous donne une idée un peu plus précise: « dirigez-vous vers le sud et l'ancienne colonie ».
Le Jihad islamique a accepté, à notre demande, de nous emmener au cœur de son secret le mieux gardé: son réseau de tunnels sous la bande de Gaza à l’intérieur duquel il fourbit ses armes en prévision d'une nouvelle guerre contre Israël.
Le mouvement islamiste, la deuxième force à Gaza derrière le Hamas au pouvoir, a pris un peu de temps avant de nous répondre. Mais il nous a finalement ouvert ses portes: nous allons visiter ses galeries souterraines, hantise de l'armée israélienne qui a essuyé de lourdes pertes au sol, notamment lorsque des combattants armés, majoritairement du Hamas et du Jihad islamique, ont surgi de terre pour les prendre à revers.
Le Jihad islamique se réclame à la fois de la cause nationale palestinienne et de l'islamisme. Formé au début des années 1980, il s'inspire fortement de la révolution iranienne. Il prône la lutte armée plutôt que l'action politique, mais s'il ne participe pas aux élections, il a quand même fait partie de la délégation qui a signé le cessez-le-feu avec Israël à la fin de l'été 2014.
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Les dirigeants du mouvement sont aussi bien des anciens des Frères musulmans que des ex-membres de groupes marxistes ou de la gauche arabe. Ils se réfèrent tant à la martyrologie iranienne qu'aux techniques de la guérilla vietnamienne – d’où les tunnels. A l’instar des galeries souterraines creusées par le Viet Mihn et le Viet Cong pour harceler les forces françaises et américaines, les galeries à Gaza servent à stocker des armes, à se déplacer sans être vus à travers le territoire et à surprendre les soldats israéliens en cas d’attaque terrestre.
Détruire les tunnels, priorité d'Israël pendant la guerre
Une des priorités affichée par Israël en lançant l’été dernier la guerre sur Gaza, la troisième en six ans, était la destruction de ces fameux tunnels, utilisés par tous les mouvements armés dans l’enclave. A l’issue de cinquante jours de bombardements intensifs et d’une incursion terrestre, l’Etat hébreu s’était félicité d’avoir éradiqué le réseau, ou tout du moins sa partie connue. Mais huit mois plus tard, le Jihad islamique semble tout disposé à nous prouver que ses souterrains –du moins, ce qu’il veut bien en montrer– sont encore là…
Nous voici d’abord dans la région de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Nous y retrouvons les combattants des brigades Al-Qods, la branche armée du Jihad islamique, dans ce qu'une grande banderole décrit comme « l'école des moudjahidines ». Sur un immense terrain, environ 200 jeunes sont à l'entraînement depuis le petit matin. Il y a dix ans exactement, en 2005, s'étendait ici une imposante colonie israélienne, avant qu’Israël n’annonce la même année le retrait unilatéral de ses soldats et de ses colons de la bande de Gaza.
Un territoire truffé de souterrains
Aujourd'hui, sous un grand soleil, nous photographions et filmons ces jeunes combattants qui s'entraînent à balles réelles. Enthousiastes et visiblement motivés, ils évoluent au milieu de ce terrain où a été reconstitué un paysage urbain, s'exerçant à entrer dans des maisons, à contourner des voitures en feu, le tout au beau milieu d'une pluie de grenades assourdissantes et de fumigènes.
Enfin, le moment arrive où nous allons nous rendre dans les souterrains. Des tunnels gazaouis, nous en avons déjà visité, photographié ou filmé des dizaines de fois. Mais jusqu'ici nous n'avions pu descendre que dans les galeries reliant Gaza à l'Egypte voisine, pour y voir les marchandises transiter. Il y a quelques mois encore, nous avions suivi des livreurs de fast-food égyptien qui amenaient des hamburgers encore chauds aux Gazaouis.
Aujourd'hui, pour la première fois, nous ne descendons plus dans les tunnels des contrebandiers mais dans les « tunnels de la résistance ». Nous allons pénétrer dans les entrailles de Gaza pour y voir les combattants qui s’y terrent. Ceux-là même qui pendant toute la guerre de l'été étaient devenus invisibles. Nous ne les avions pas vus dans les rues que nous arpentions inlassablement, au gré des raids israéliens. Cette fois encore, ils nous escortent, mais nous ne verrons jamais leurs visages. Ils sont tous masqués.
Yeux bandés et désorientés
Avant de nous faire monter dans un de leurs véhicules, ils nous fouillent de la tête aux pieds. Nos caméras et appareils photos sont examinés de près, tout autre objet en métal nous est retiré, dont nos montres et même nos alliances. Et surtout, ils nous bandent les yeux.
Puis, nous prenons la route. Nous roulons pendant une bonne demi-heure. Il est probable que notre chauffeur tourne parfois en rond pour nous faire perdre tout repère. Finalement, la voiture s’arrête et on nous ôte nos bandeaux. Nous sommes au milieu d'une oliveraie. Autour, pas une seule habitation, rien que nous puissions reconnaître. L’entrée du tunnel est là.
Nous nous enfonçons sous terre, à environ dix ou douze mètres de profondeur. Durant les premiers quarante à cinquante mètres nous progressons dos courbé, la hauteur de la galerie ne dépassant pas un mètre cinquante. Puis s'ouvre devant nous un long tunnel d'environ un mètre de large, parfois moins, et d’un mètre quatre-vingt de hauteur que nous parcourons sur une petite distance.
L'oxygène manque
Au bout d’un moment, un commandant nous dit de nous arrêter. Plus loin, assurent les combattants et leurs chefs, il y a de nombreux autres tunnels, de différentes longueurs. Il nous faut les croire sur parole, nous n'en verrons pas plus.
En certains endroits, de petits renfoncements ont été aménagés. Deux ou trois personnes peuvent s’y tenir assises. Le sol est en terre battue mais toutes les parois sont bétonnées. Cela n’a rien à voir avec les tunnels creusés par les contrebandiers, assez larges pour faire transiter des pièces de carrosserie, des matériaux de construction et même des animaux.
Une vingtaine de combattants sont là et se déplacent avec aisance. Ils sont tous plutôt sveltes et moins grands que la hauteur de plafond. Ils se repèrent sans problème dans cet inextricable réseau où des inscriptions indiquent les différentes « routes ». D'un côté, la « route Abou Bakr as-Seddiq », du nom du premier calife de l'islam. De l'autre, la « route Othmane Ibn Aaffan », l'un de ses successeurs.
Les combattants que nous croisons sont masqués, équipés de grenades, d’armes automatiques et même de lance-roquettes. Certains sont munis de lampes frontales. D'autres, qui ont l'air de connaître les galeries comme leur poche, ne s'embarrassent même pas d'éclairage. Dans les tunnels, on économise les mots. L’oxygène est rare à cette profondeur. Nous en souffrons d'ailleurs durant notre reportage. Nous restons sous terre une demi-heure, ce qui est à peu près supportable. Je ne sais pas si nous aurions tenu le coup plus longtemps. Les combattants, eux, vont vite. Ils savent ce qu'ils ont à faire et ne perdent pas de temps.
L’été dernier, l’armée israélienne avait organisée des visites pour la presse dans une galerie qu’elle avait découverte pendant la guerre entre Khan Younès et un kibboutz situé de l’autre côté de la frontière. Mais très rares sont les journalistes qui ont pu descendre dans ces tunnels avec les groupes armés palestiniens eux-mêmes. A la sortie, le soulagement que nous éprouvons en sentant à nouveau l’air frais entrer dans nos poumons n’a pas de prix…
Mahmoud Hams et Yahya Hassouna sont respectivement un photographe de l'AFP et un reporter vidéo indépendant collaborant avec l'agence, et basés à Gaza.