La parlementaire en gilet pare-balles
KIEV, 30 janv. 2014 – Lesya Orobets est une figure montante de l’opposition en Ukraine. Elle n’a que 31 ans, mais elle siège déjà au parlement depuis six ans. Elle est membre du parti pro-européen Batkivshchyna de l’ex-Première ministre Ioulia Timochenko actuellement en prison. Elle est elle-même la fille d’un député de l’opposition. Son père, Iouriy Orobets, était un célèbre pourfendeur de la fraude électorale et de la corruption. Il a été tué dans un mystérieux accident de la route en 2006.
Lesya Orobets a pris part activement au mouvement de contestation en Ukraine, et aux manifestations massives sur la place de l’Indépendance de Kiev depuis début décembre. En début de semaine, elle a écrit sur sa page Facebook qu’elle n’assisterait pas à la session extraordinaire du parlement mardi 28 janvier, au cours de laquelle les députés ont abrogé les lois répressives votées deux semaines plus tôt. « Je n’ai pas la moindre certitude qu’une fois entrée dans la chambre, je serai en mesure d’en sortir », a-t-elle expliqué.
En fin de compte, elle a quand même assisté à la séance, mais vêtue d’un gilet pare-balles. Je suppose qu’elle avait revêtu ce gilet pour souligner le fait qu’elle restait sous la menace. Le lendemain, elle a fustigé les concessions faites par le gouvernement aux protestataires, en les qualifiant de « manœuvres tactiques » et de « gestes pour la galerie ».
Femme politique à poigne, Orobets a affirmé à de nombreuses reprises avoir reçu des menaces de mort. En juin 2013, son mari, Oleksandr Omelchuk, qui dirige une banque d’investissement en Ukraine, s’est réfugié à l’étranger en se disant victime de persécutions de la part des autorités.
La chambre des députés ukrainienne, appelée Verkhovna Rada, est l’un des parlements les plus volatils du monde. Ses membres en viennent régulièrement aux mains. C’est parfois une aubaine pour les photographes (en décembre 2012, le même photographe, Sergei Supinsky, avait immortalisé ici une prodigieuse bagarre à coups de poing entre députés) mais c’est aussi assez difficile à couvrir.
Travailler au parlement est tout un art pour les photojournalistes ukrainiens. Il faut se lever tôt pour être aux premières loges. « Il faut faire la queue dehors avant sept heures du matin », raconte Sergei Supinsky. « Les portes s’ouvrent à huit heures, et à neuf heures on peut accéder au balcon de presse et y réserver un emplacement en posant son matériel. Il y a très peu d’espace. Choisir le bon endroit d’où prendre des photos relève de la chance. Une bonne position un jour peut s’avérer mauvaise le lendemain, car on ne sait jamais dans quel secteur de l’hémicycle les choses intéressantes vont se produire. »
Le 29 janvier, dernier jour de la session extraordinaire du parlement, Sergei Supinsky est arrivé comme d’habitude pour sept heures du matin et, la séance s’éternisant, il n’a quitté les lieux que juste avant minuit. Mais sa patience a été récompensée : il a pu prendre cette image de députés du parti au pouvoir criant victoire en levant le poing, après l’adoption d’une amnistie en faveur des manifestants arrêtés pendant les troubles (une loi qui n’a en fait pas résolu grand-chose, car assortie de conditions telles que l’évacuation de certains bâtiments toujours occupés, jugées inacceptables par l’opposition qui craint une manœuvre pour briser la contestation).
Stuart Williams est adjoint au directeur du bureau de l'AFP à Moscou.