(AFP / Joseph Eid)

Hezbollah tour

NAQOURA (Liban) -- Le convoi de journalistes a repéré les combattants du Hezbollah au détour d’un verger du village de Naqoura, dans le sud.

A vrai dire, ils avaient peu de chance de passer inaperçus. Bien qu’équipés de tenues militaires camouflées et de traits de peinture verte et noire censés dissimuler leurs traits, ils avaient tout l’air de se trouver là pour être vus.

Cela a été l’un des points forts d’un voyage de presse, aussi rare que parfaitement orchestré, du puissant mouvement chiite libanais. Lors d'une précédente visite guidée, il y a presque deux ans, nous avion seu l'interdiction formelle de montrer un visage ou une arme.

Près de Naqoura, 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)
Un combattant du Hezbollah avec un lance-missile anti-aérien portable, 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)

 

 

« Ca ressemble au musée Grévin avec des combattants du Hezbollah », a plaisanté un photographe, en mitraillant avec son appareil ces hommes, rigoureusement immobiles et silencieux, dispersés dans de hautes herbes entre les orangers. Avec en main des fusils d’assaut, lance-roquette antichar et missile anti-aérien.

20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)

Cette démonstration de force faisait partie d’un voyage de presse inhabituel du mouvement, d’ordinaire réticent à offrir à la presse un accès à sa branche militaire.

Le Hezbollah est une force incontournable au Liban. Il est bien présent au parlement, mais peut aussi se vanter de disposer d’un arsenal militaire supérieur à celui des forces armées libanaises.

Désigné comme « groupe terroriste » par les Etats-Unis, il est aussi actif au-delà des frontières libanaises, en Syrie, où des milliers de ses combattants sont engagés aux côtés des forces du régime de Bachar al-Assad. 

 

Depuis quelques mois,  une série de déclarations israéliennes a réveillé le spectre d’un nouveau conflit entre l’Etat hébreu et son ennemi juré, plus de dix ans après leur dernier affrontement.

Les 34 jours de guerre en 2006 avaient entraîné la mort de 1.200 personnes au Liban, pour la plupart des civils, et 160 Israéliens, en grande majorité des soldats.

Le chef d'état-major israélien Gadi Eisenkot a averti récemment que « la prochaine guerre aura plusieurs cibles: l’État libanais et les groupes terroristes opérant sur son territoire et sous son autorité ».

C’est dans ce contexte que le Hezbollah a organisé ce voyage de presse. Et il n’a pas été chiche sur les invitations.

Un poste militaire israélien, près du kibboutz de Hanita, vu du côté libanais de la "Ligne bleue", le 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)

Une centaine de journalistes se sont entassés dans le hall de la mairie de Naqoura pour écouter une présentation de la tournée, par un porte-parole du mouvement, Mohamed Afif.

L’assistance rassemblait aussi bien des journalistes de télévisions locales, de principaux journaux occidentaux, et même un reporter yéménite, -en tenue traditionnelle avec le poignard à la ceinture-, de la chaîne Al-Masirah, liée au mouvement de rébellion des Houthis.  

Afif a expliqué aux journalistes que cette visite permettrait d’observer la construction  par Israël de nouvelles fortifications à la frontière, le signe selon le mouvement chiite que si un côté à peur de l’autre, c’est bien Israël.

Un bulldozer israélien travaille au renforcement de fortifications le long de la frontière, vue depuis le côté libanais, le 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)
Les journalistes en visite guidée le long de la frontière, côté libanais, le 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)

 

 

Il a ensuite précisé que des « frères et des jeunes » du mouvement seraient visibles sur le chemin, tout en demandant à la presse de ne pas les photographier.

Mais l’encadrement s’est révélé incapable d’endiguer l’enthousiasme des journalistes, qui n’ont pas résisté à cette occasion rarissime de faire le plein de clichés de combattants du Hezbollah en armes, si près de la frontière.

La taille du convoi de journalistes a entraîné des défis logistiques inhabituels, et procuré une distraction aux habitants du cru, dont certains ont observé cette caravane hétéroclite depuis le pas de leur porte avec un petit sourire aux lèvres.

Le convoi s’est arrêté brusquement sur une piste de terre pour la première halte le long de la « Ligne Bleue », qui est celle du cessez-le-feu entre le Liban et Israël. 

Des véhicules militaires israéliens passent devant de nouvelles fortifications, près des kibboutz de Hanita et Shlomi, le 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)


 

C’est à ce moment que les télévisions locales, avec leurs camions équipés d’antennes de transmission par satellite, ont réalisés qu’elles se trouvaient coincées derrière des dizaines de voitures. 

« A qui appartient la Mercedes gris métallisée », a hurlé un des accompagnateurs appartenant au Hezbollah. « Il faut la bouger pour laisser la place au camion  satellite », a-t-il plaidé avec une note de désespoir dans la voix.

Mais la scène est réellement devenue chaotique avec l’apparition d’un commandant militaire, identifié seulement sous le nom de « Ihab », et qui devait présenter aux journalistes les nouvelles mesures de défense prises, selon le Hezbollah, par l’Etat hébreu.

Cameramen, photographes et reporters texte se sont alors bousculés, trébuchant sur le sol accidenté, et piétinant les fleurs des champs, pour ne rien perdre du moment. 

Soucieux de faciliter la tâche aux journalistes, un accompagnateur a récolté les micros des uns et des autres dans ses bras, avant d’accepter de l’aide quand le bouquet s’est révélé trop volumineux pour ses seuls bras.

Des soldats israéliens, sous le filet de camouflage d'un poste militaire, vu depuis le côté libanais de la "Ligne bleue", le 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)

« Ihab » a déroulé sa présentation de façon toute militaire, en assurant que les forces israéliennes étaient sur la défensive, en creusant une sorte de falaise pour protéger leur poste militaire, et en établissant de nouvelles barrières de terre et systèmes de détection le long de la « Ligne Bleue ».

Ses propos étaient un peu difficiles à suivre, dans le brouhaha généré par la foule de journalistes, et quand le briefing a été terminé, les humeurs se sont échauffées.  

Un poste militaire israélien le long de la frontière avec le Liban, 20 avril 2017. (AFP / Joseph Eid)

Comme des journalistes se plaignaient que leurs enregistrements du commandant « Ihab » soient difficilement utilisables, un responsable du Hezbollah s’est un peu énervé. « L’histoire ne tourne pas autour de sa personne », a-t-il crié.

« Je peux le remplacer par un autre et ça changera rien au fait que le sujet ce sont les mesures défensives », prises par l’adversaire, a-t-il ajouté avec un ton contrarié.

Le problème a été résolu avec une répétition, plus disciplinée, du briefing. Qui a permis à des journalistes de prendre des selfies avec le poste militaire israélien en toile de fond.

 

La visite s’est poursuivie avec plusieurs haltes, dont une sur base occupée par l’UNIFIL, la force de maintien de la paix des Nations-Unies, où les journalistes ont filmé tout leur saoul, sans même probablement remarquer le panneau, en anglais et en arabe, interdisant toute prise de vue à cet endroit.

"Ligne Bleue" (AFP / Joseph Eid)

En revanche, à une autre halte en contrebas d’un poste de surveillance israélien, le tournage a été brièvement interrompu par un casque bleu, qui s’est précipité nerveusement vers les journalistes en agitant les bras au-dessus de son béret bleu et en criant : « pas d’image ».

Une escorte de l’armée libanaise a résolu le problème, qui a illustré la situation délicate sur la ligne de démarcation, où des escarmouches ont lieu régulièrement.

En janvier 2015, un casque bleu espagnol a été tué par des tirs israéliens lors d’un échange de coups de feu avec les forces du Hezbollah sur la « Ligne Bleue ».

 

La dernière étape a été paisible, en haut d’une colline, face à une position militaire israélienne, avec ses soldats visibles au loin, juste de l’autre côté d’une longue barrière.

Pendant qu’Ihab livrait son dernier briefing, détaillant l’avancement des fortifications de l’adversaire, des journalistes ont posé leur équipement et se sont dispersés sur la colline, pour récolter des bouquets de thym sauvage.

(AFP / Joseph Eid)

 

Sara Hussein