« Grâce à la foi, vous serez libres »
ASUNCION, 3 janv. 2014 – La prison de Tacumbú est la plus surpeuplée et la plus violente du Paraguay. Plus de 4.000 détenus, soit trois fois la capacité officielle, s’entassent dans cette maison d’arrêt vétuste située dans le quartier du même nom à Asunción. Une quinzaine d’homicides à l’arme blanche s’y produisent chaque année, selon les chiffres du gouvernement. Mais les organisations humanitaires estiment que le nombre de meurtres, en réalité, est trois fois plus élevé. On a découvert dans cette prison des trafics de pornographie infantile et même de voitures volées.
J’ai pu entrer dans Tacumbú le 13 décembre dernier pour couvrir une visite du président Horacio Cartes, qui était venu remettre des diplômes à des prisonniers ayant suivi des études. Je guettais cette occasion depuis longtemps. D’ordinaire, l’administration pénitentiaire, qui a honte de l’état calamiteux de cette prison, n’autorise pas les photographes à y pénétrer. Ce jour-là, la ministre de la Justice Sheila Abed a d’ailleurs annoncé que Tacumbú n’accueillerait plus aucun nouveau détenu.
Il était clair que le personnel avait tout nettoyé de fond en comble en vue de la visite du président. Mais leurs efforts n’avaient pas suffi à masquer l’aspect lugubre de la prison, avec ses murs en ruines, ses couches de peinture écaillée et ses cellules délabrées. A la première occasion, j’ai détourné mon objectif de la cérémonie officielle pour le braquer sur les détenus qui s’agglutinaient contre les grilles dans le but de regarder l’événement.
Un gardien m’a raconté que certaines cellules de quatre lits hébergaient jusqu’à vingt prisonniers, dont la plupart dormaient par terre sur des restes de matelas en mousse ou sur des couvertures. La prison renferme aussi des malades, des handicapés mentaux. Selon mon informateur, la majorité des détenus avaient été repoussés au loin, à une centaine de mètres du lieu de la cérémonie, afin de prévenir tout incident avec les fonctionnaires accompagnant le président. Il flottait dans l’air une odeur de cloaque, de détritus, de nourriture et d’humidité.
A voix basse, le gardien m’a autorisé à m’écarter un peu de la cérémonie en cours. Je me suis éloigné d’une cinquantaine de mètres. C’est alors qu’une scène a attiré mon attention. A l’entrée d’un pavillon, j’ai vu une grille surmontée de l’inscription : « grâce à la foi, vous serez libres ». Plusieurs détenus se pressaient contre les barreaux pour tenter d’apercevoir les visiteurs extérieurs. Cette image m’a semblée parfaite, en raison de la contradiction flagrante entre le slogan et la réalité de cet instant, avec tous ces prisonniers qui s’efforçaient de libérer au moins leur regard…
« Eh, le photographe ! File-moi un biffeton ! » a crié l’un, aussitôt imité par un autre, puis un autre… J’ai pris les photos et je me suis éloigné.
« Maintenant, arrêtez ! » m’a sèchement ordonné un gardien.
Au loin, on entendait quelques prisonniers maintenus à l’écart hurler « dehors Cartes ! » à pleins poumons. Mais pour les 77 détenus diplômés et leurs familles, cette journée était un grand moment d’émotion. Tous ont assisté à la cérémonie officielle dans un silence respectueux, comme s’ils vivaient un rêve de liberté qui allait se terminer quelques instants plus tard avec le départ du président et de sa suite.