Fuir son pays en temps de paix
Huaquillas (Equateur) -- La couverture de la crise des réfugiés vénézuéliens est un sujet très personnel pour moi. Originaire de Cucuta, une ville colombienne juste à la frontière, ma vie est faite d’aller-retour entre les deux pays. J’ai pris l’habitude de me rendre au Venezuela pour voir des amis, me promener ou aller au restaurant, ou encore profiter de sa côte sur les Caraïbes.
Cela fait plusieurs semaines que nous suivons la situation des migrants vénézuéliens. Cette année, ils ont été toujours plus nombreux à quitter leur pays, -où ils ne peuvent plus pourvoir aux besoins de leurs familles-, pour chercher un travail et un avenir ailleurs.
Ils tentent de rejoindre l’Equateur, le Pérou, le Chili. Des milliers se sont installés en Colombie, où il leur a été assez facile d’obtenir des autorisations de travail.
Certains pays ont répondu à cet exode en durcissant les conditions d’entrée sur leur territoire.
Avant, les citoyens de Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou et Venezuela pouvaient circuler librement, sans passeport. Quand l’Equateur a annoncé qu’il en exigerait un pour les Vénézuéliens, nous avons réagi rapidement, en nous doutant que cette mesure provoquerait un afflux de migrants avant son entrée en vigueur.
J’ai appris la nouvelle le dimanche 19 août. Je me suis envolé aussitôt pour la ville colombienne de Pasto, à deux heures de route de la frontière avec l’Equateur, vers laquelle nous savions que les Vénézuéliens se dirigeraient. Une fois à Pasto j’ai sauté dans une voiture pour le pont frontière de Rumichaca.
Sur le chemin, j’ai vu des petits groupes de gens marchant le long de la route en traînant leurs valises. Je les ai suivis un moment, avant de reprendre mon trajet vers la frontière.
En arrivant à Rumichaca, j’ai vu une longue queue de gens devant le bureau des visas. Certains étaient enveloppés dans des couvertures, d’autres dormaient sous des tentes. Il y a avait des adultes, des femmes, des vieux, des enfants. Ils espéraient tous entrer en Equateur.
Le lendemain matin, la situation était encore plus chaotique, à cause de l’afflux de migrants. Des ONG ont installé des tentes et des matelas pour les femmes et les enfants. Au cours de la journée, des habitants sont venus en voiture pour offrir du pain et du café. Je serai souvent témoin de tels gestes de soutien pendant ma semaine de reportage.
A la fin de la journée, l’accès à l’Equateur étant interdit, environ 700 personnes ont décidé de prendre le chemin du Pérou. Le pays andin ayant annoncé qu’il imposerait un contrôle des passeports à sa frontière à partir du 24 août, le voyage est devenu une course contre la montre. La température nocturne avait déjà commencé à tomber, autour de 3 degrés Celsius. Beaucoup de migrants avaient le ventre vide.
Quand je suis revenu près du pont le lendemain matin vers 6h00, la plupart des migrants étaient prêts à entamer leur longue marche. Je me suis mis en haut de la route pour mieux les photographier. Le spectacle était assez incroyable, des centaines de gens marchant le long de la chaussée avec leurs valises.
J’ai été très touché par les enfants. Peut-être parce que je suis moi-même père d’une petite fille de trois ans, Martina. Ceux-là n’avaient visiblement pas idée de l’importance de ce voyage. Comme tout ressemble à une aventure pour eux, ils jouaient et ils riaient comme ils le feraient n’importe-où.
Après une discussion avec mes responsables, nous avons décidé que je les suivrai. J’ai marché avec un groupe toute la journée, en les photographiant le long du chemin. Quand ils se sont installés pour la nuit au bord de de la route, je suis resté avec eux avant de m’installer à mon tour.
J’ai essayé de trouver le sommeil, mais sans y arriver. Je n’arrêtais pas de penser à ces gens.
Vers cinq heures du matin, le bruit s’est répandu que des bus allaient venir pour emmener les migrants jusqu’à la capitale équatorienne Quito puis Huaquillas, à la frontière avec le Pérou.
J’ai assisté à leur départ, le sourire aux lèvres, avant de rentrer en Colombie pour y attendre mes collègues de la vidéo et du texte.
Nous avions décidé de suivre un groupe de migrants vénézuéliens juste arrivés à la frontière et qui essaieraient d’arriver au Pérou à temps, c’est-à-dire avant d’avoir à présenter un passeport pour y entrer.
Le journaliste texte Rodrigo Almonacid et le JRI Juan Restrepo sont arrivés le lendemain matin et nous sommes partis sur la Pan American Highway.
A quelques kilomètres de Pasto nous sommes tombés sur un truck avec des gens entassés sur la plate-forme arrière. Deux familles qui s’étaient rencontrées sur la route et avaient décidé d’unir leurs forces pour un long périple. Les Lomellys voulaient atteindre Quito et la famille Mendoza Landinez visait le Pérou.
Nous les avons accompagné.
Ils sont arrivés jusqu’à un poste de contrôle de la police colombienne qui leur a ordonné de descendre au motif qu’il était trop dangereux de voyager à l’arrière.
Ils ont marché jusqu’à ne plus être en vue des policiers avant de regrimper dans le véhicule. Ils ont encore fait quelques kilomètres avant que le chauffeur annonce qu’il ne pouvait pas aller plus loin. Alors ils ont continué à pied. Onze personnes et un bébé de cinq mois. Avec leurs valises.
Les deux familles étaient affamées, et comme par miracle un ange gardien est apparu sur le bord de la route : une vénézuélienne, arrivée là quelques semaines plus tôt et qui travaillait dans un restaurant. Quand elle a vu les deux familles, elle s’est mise à pleurer parce qu’elles lui rappelaient sa propre expérience une fois arrivée jusque-là. Elle leur a apporté un repas pour le déjeuner, que les deux familles ont partagé.
Quelques minutes plus tard, autre coup de chance. Un camion s’est arrêté. Le chauffeur se rendait à Ipiales, juste à côté de la frontière, et pouvait les emmener. Tout le monde s’est rué dans le camion en y jetant les valises. Une fois rendus, la marche a repris jusqu’au pont de la frontière.
Le reportage a été une véritable épreuve physique. Les journées étaient longues et pénibles, à marcher des heures durant tout en prenant des photos. Je devais partir un peu devant le groupe, pour pouvoir le photographier quand il passait devant moi, avant de le rattraper et de recommencer.
Emotionnellement ça n’était pas moins épuisant, parce qu’il ne fallait pas que je cède à la colère, pour rester concentré sur les photos que je devais prendre.
Après quelques heures, nous sommes finalement arrivés à la frontière, où nous attendait une bonne nouvelle. L’Equateur allait fournir des bus pour transporter les migrants jusqu’au Pérou. Ils ont attendu des heures durant par un froid glacial, 4 degrés Celsius.
Et puis la famille Mendoza Landinez a reçu un véritable coup de massue sur la tête. Leur fille de 19 ans, Eliana, ne serait pas acceptée dans le bus parce que sa carte d’identité était en très mauvais état. Les douaniers pensaient qu’il s’agissait d’un faux. Elle devrait rester ici avec son bébé, Tiago.
La décision à prendre était cornélienne. Si la famille restait avec Eliana, toute la famille raterait la date fatidique pour entrer au Pérou. Ils ont décidé qu’Eliana et son enfant se rendraient à Quito avec les Lomellys. Le reste de la famille est monté dans le bus à destination du Pérou. Nous nous sommes empressés de trouver un chauffeur pour les suivre.
Le bus a couvert les 670 kilomètres jusqu’à la ville frontière de Huaquillas en faisant quelques arrêts. Il y est arrivé le 25 août à quatre heures du matin. La date limite avait expiré à minuit. Le visage des Vénézuéliens affichait un mélange de colère et d’impuissance. Je ressentais la même chose. Sans passeports, les Mendoza Landinez ont demandé à entrer au Pérou en tant que réfugiés. Ils ont fait la queue. Leur demande a été acceptée et ils se sont dirigés vers Lima, pour y retrouver la mère d’Eliana.
A ce stade nous en étions à environ 40 heures sans sommeil. Epuisés, nous avons décidé de trouver un hôtel pour récupérer un peu.
J’ai adoré couvrir cette histoire, même si elle était triste : tous ces gens qui, malgré les risques et les difficultés, abandonnent tout dans leur pays pour chercher ailleurs un avenir meilleur. Beaucoup d’entre eux sont des employés dont le salaire ne suffit pas à nourrir leur famille.
Avant cela, j’avais couvert beaucoup de conflits et suivi les réfugiés qu’ils provoquent. J’arrivais dans une ville et je la trouvais vide. Mais le Venezuela n’est pas un pays en guerre. Son peuple l’abandonne par nécessité économique. Il y a une pénurie de médicaments, ils ne peuvent pas acheter de nourriture pour leur famille même quand ils ont un travail et gagnent un salaire. Il y a quelque chose de vraiment tragique à être le témoin d’un peuple obligé de fuir un pays en paix.
Ce blog a été écrit avec Yana Dlugy à Paris.