Une femme condamnée pour 'immoralité' est fouettée par la police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

Fouettés par la police de la charia

Les coups de canne pour réprimer les "actes immoraux" sont de plus en plus pratiqués à Aceh, la seule province d'Indonésie autorisée à appliquer la charia. Nurdin Hasan raconte une bastonnade publique à Banda Aceh, la capitale provinciale.

BANDA ACEH, Indonésie, 14 juillet, 2015 - La jeune femme s'effondre. Difficile de dire si elle s'est évanouie à cause des quatre coups de bâton de rotin ou du traumatisme d'être punie en public, devant une immense foule. La police de la charia l'évacue de la scène érigée à l'extérieur d'une mosquée dans le centre de Banda Aceh pour une séance publique de flagellation, après la prière du vendredi.

Elle n'est pas la seule. Cinq autres étudiants - tous célibataires, âgés de 18 à 23 ans - et une quadragénaire subissent le même traitement. La police de la charia les fait défiler devant la foule, tête baissée. Un homme met les mains sur son visage pour échapper aux regards et railleries.

Une femme condamnée pour 'immoralité' est fouettée par la police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

La femme la plus âgée a été accusée d'adultère. Les trois jeunes couples ont été interpellés par la police de la charia alors qu'ils étaient seuls, ce qui est interdit à Aceh en dehors des liens du mariage.

Après l'autonomie, la charia

Un tel comportement est accepté partout ailleurs en Indonésie, mais pas dans cette province profondément religieuse, la seule du pays musulman le plus peuplé au monde autorisée à appliquer la charia - loi islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle.

Aceh avait commencé à appliquer la charia après avoir obtenu un statut d'autonomie en 2001, accordé par le gouvernement central à Jakarta en vue de mettre fin à plusieurs décennies de rébellion séparatiste.

Une femme condamnée pour proxénétisme est fouettée par la police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

Le tsunami qui a dévasté la province en 2004, faisant 170.000 morts en Indonésie et des dizaines de milliers d'autres dans des pays de l'océan Indien, a contribué à la conclusion d'un accord de paix entre le gouvernement central et Aceh.

La province a conservé une large autonomie et applique régulièrement un nombre croissant de règlements liés à la charia. Certains sont extrêmes au vu des normes occidentales. Ainsi, les femmes circulant à motocyclette dans certaines parties de la région sont obligées d'être assises à califourchon, car être assise à cheval est considéré comme un comportement lubrique. Une autre réglementation interdit aussi un homme et une femme non mariés de circuler sur la même motocyclette.

Des punks ont été contraints de se faire raser la tête, de retirer tous leurs piercings, d'être baignés en public et obligés de suivre des cours de rééducation.

Une femme condamnée pour 'immoralité' se prépare à etre fouettée par la police police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

La police de la charia, indépendante des forces de police classiques, patrouille les rues la nuit, à l'affût de personnes commettant des "actes immoraux".

Des enfants, des smartphones dans la foule

Les sanctions par coups de canne ont débuté en 2005 et sont depuis en augmentation. Une centaine d'habitants d'Aceh ont été fouettés cette année.

Si cette punition est courante dans la province, la récente séance à Banda Aceh était la première de l'année dans la capitale. Un millier de personnes ont assisté au spectacle macabre. Dans une ville où les activités de divertissement sont rares, les autorités encouragent activement la population à regarder ces séances.

Une femme condamnée pour 'immoralité' est fouettée par la police police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

Dans une ambiance tapageuse, les étudiants portant une tunique blanche arrivent à bord d'un fourgon et sont conduits sur la scène. Les insultes fusent en direction de ceux qui attendent leur punition.

Des enfants sont parmi les spectateurs se bousculant pour avoir une bonne vue, alors que ces événements publics leur sont théoriquement interdits. Dans la foule, certains ont leur smartphone en main pour prendre des photos.

Redoubler de violence

Des policières de la charia amènent les femmes, tenues à chaque bras, contraintes de s'agenouiller pour la lecture des charges par un procureur.

Un homme recouvert de la tête aux pieds par une tunique foncée avec deux trous pour les yeux - un spécialiste de la police de la charia appelé "algojo" - s'avance avec un bâton de rotin d'un mètre de long.

Un homme condamné pour 'immoralité' se prépare à etre fouetté par la police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

Pendant des années, l'algojo ne devait pas lever son bras plus haut que la hauteur des épaules, mais cette disposition a été révisée en 2013 pour permettre de taper plus fort.

A genoux, les étudiants terrifiés ferment les yeux et font une grimace en sentant le bâton de rotin arriver. La foule encourage l'algojo à frapper plus violemment. La déception peut se ressentir si la punition est moins sévère que prévu.

Des personnes non mariées prises en train de fraterniser avec des gens du sexe opposé risquent trois à neuf coups de canne, les personnes qui s'adonnent aux jeux de hasard de six à douze coups, et ceux pris en train de boire de l'alcool dans la province pieuse risquent quarante coups.

Un homme condamné pour 'immoralité' est fouetté par la police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

A compter d'octobre, en cas d'accord au Parlement d'Aceh, le nombre d'actes réprimés par des coups de bâton de rotin sera étendu. Les couples pris en train de s'embrasser en public risqueraient alors jusqu'à quarante coups, tandis que les homosexuels reconnus coupables de relations sexuelles s'exposeraient jusqu'à cent coups.

Si les règles paraissent sévères sur la papier, nombre d'entre elles ne sont pas strictement appliquées.

Les touristes bien accueillis

Cette province de l'île de Sumatra est aussi connue pour ses magnifiques endroits qui attirent les amateurs de surf et de plongée, parmi lesquels un petit nombre de touristes étrangers. Ceux-ci ne sont pas exemptés de charia, les réglementations s'appliquant même aux non musulmans, selon un texte adopté l'an passé.

Mais il n'y a eu jusqu'ici aucune information faisant état d'étrangers ayant dû subir les rigueurs de la loi coranique. Les habitants d'Aceh se montrent en général accueillants vis-à-vis des touristes qui acceptent de s'habiller "modestement" en public et d'éviter les signes d'affection.

Des femmes condamnées pour 'immoralité' prennent place a bord d'un fourgon après leur punition par la police de la charia à Banda Aceh le 12 juin, 2015 (AFP Photo / Chaideer Mahyuddin)

Nombre d'habitants d'Aceh estiment que les lois pro-charia ne vont pas assez loin. Des appels ont été lancés pour que les fonctionnaires reconnus coupables de corruption - un phénomène courant en Indonésie - soient condamnés à des coups de fouet, mais les critiques savent que c'est peu probable.

Des citoyens de la province critiquent le fait que des fonctionnaires haut placés se voient épargner la  bastonnade lorsqu'ils se font prendre pour un comportement "lubrique", pointant du doigt un leader d'une communauté arrêté il y a deux ans dans un salon avec des femmes avec lesquelles il n'avait aucun lien, un acte sans conséquence jusqu'ici.

Les étudiants eux ne bénéficient pas d'une telle indulgence. Leur humiliation dure un peu plus d'une heure avant que la foule ne soit dispersée et la scène démantelée.

Nurdin Hasan est un correspondant régulier de l'AFP dans la province d'Aceh depuis 2000. Traduction Benoît Finck.