Laissez-passer pour l’Europe
SOFIA, 22 juillet, 2015 – Début juillet, je me suis rendu dans l’est de la Bosnie à l’occasion des commémorations du massacre de Srebrenica 20 ans plus tôt. Avant de rentrer chez moi à Sofia, en Bulgarie, j’ai voulu faire un détour par la Serbie, afin de voir de mes propres yeux la migration de centaines de personnes cherchant à gagner l’Union Européenne plus au nord.
Je savais – grâce notamment au travail de mes collègues de l’AFP - que la Serbie était actuellement traversée par un important flux de migrants, arrivant de Macédoine et en route pour la frontière hongroise.
Ces familles effectuent à pied une grande partie de leur éprouvant voyage vers l’Europe. En Macédoine, par exemple, les migrants n’avaient jusqu’à tout récemment pas le droit d’emprunter les transports en commun. Une fois en Serbie ils ont la possibilité de prendre le train ou le bus pour rejoindre la frontière hongroise – mais pas avant d’avoir obtenu un laissez-passer, valable 72 heures, auprès des autorités du pays.
Dans la ville de Presevo – la première que rencontrent les migrants après la frontière macédonienne – les autorités serbes ont installé un grand camp pour accueillir la foule en attente de papiers. J’y ai vu environ un millier de personnes, peut-être plus.
Apres deux ou trois jours d’attente à Presevo – dormant a la belle étoile pour certains – ces gens étaient épuisés. Sans laissez-passer, ils risquent en cas d’interpellation de se faire renvoyer tout droit vers la frontière. Mais l’attente semblait particulièrement rude – en pleine vague de chaleur par des températures de 35 degrés.
J’avais l‘intention, après deux jours à Presevo, de monter à bord d’un train à destination de Subotica, tout au nord de la Serbie, afin de suivre le voyage de ces migrants vers nord. Mais le moment venu, il n’y avait que six personnes à bord et j‘ai donc finalement emprunté un train à destination de Belgrade, qui était lui plein de familles de migrants.
Quelques 70 à 100 personnes sont montées à Presevo pour le voyage de dix heures jusque Belgrade. Certains étaient en groupe, d’autres seuls. Il y avait surtout beaucoup de familles, voyageant avec des enfants en bas âge et des nourrissons. J‘ai également photographié un groupe de migrants dans le train reliant Nis, au sud de la Serbie, à Belgrade.
Je leur ai demandé la permission de les photographier, et j’ai pu leur parler un peu. Suffisamment pour entendre qu’ils venaient de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan. Beaucoup cherchaient à rejoindre l’Allemagne et la Suède et, pour certains pakistanais, l’Italie.
Ces migrations vers l’Union Européenne sont tout simplement le plus grand sujet d’actualité dans les Balkans aujourd’hui. Le nombre de personnes interpellées à la seule frontière serbo-hongroise a été multiplié par 25 en cinq ans, passant de 2.370 à plus de 60.000 selon Amnesty International. C’est un phénomène qui mérite que nous journalistes lui accordions du temps.
Personnellement, j’ai le sentiment que les gens ici dans les Balkans ont oublié combien de leurs propres grand parents ont été eux aussi des migrants au cours du 20eme siècle. Ils ont oublié les vies de leurs aïeux.
J’ai vu des personnes très bien intentionnées, qui aident les migrants en leur donnant à boire et à manger, à Presevo et ailleurs. Mais il y a aussi une grande partie de la population locale qui les perçoit comme une menace. Pas seulement en Serbie, en Macédoine ou en Bulgarie – mais dans toute la région des Balkans.
C’est en partie le reflet des préjugés qui existent envers les Musulmans dans les Balkans. La plupart de ces migrants proviennent effectivement de pays musulmans, ce qui alimente les fantasmes de la population locale qui les perçoit souvent comme des soutiens du groupe Etat Islamique et des ‘terroristes’ potentiels.
Mais de près, il est clair à mes yeux qu’ il s’agit de familles ordinaires, simplement contraintes à un long et douloureux voyage.
Dimitar Dilkoff est un photographe de l’AFP basé à Sofia. Ce billet a été réalisé avec Emma Charlton.