(AFP / Cristina Quicler)

Femmes photographes: Cristina Quicler

Cristina Quicler raconte l'Andalousie pour l'AFP depuis 2002. Elle a reçu en 2020 le prix Andalousie de journalisme pour l'une des photographies présentées dans ce blog. Cet entretien s'inscrit dans une série de rendez-vous avec des femmes photojournalistes à  l'AFP.

D'où vient votre passion pour la photographie ? 

Pour préparer cet entretien, je viens de me plonger dans des années de photographies, et j'ai été très émue. J'en suis encore secouée ! Dans chaque photographie, je vois ma vie. Mon histoire de photographe a démarré dans l’enfance. Je vivais alors dans le nord de l’Espagne, à Vigo, au bord de l’Atlantique, avec ma mère et mon premier frère. Mon père était professeur à Séville, et il nous retrouvait pour les vacances. Lors de l’un de ses passages, il m’a offert un appareil photo Kodak Instamatic noir et gris. Mes premiers clichés datent d’une visite au zoo de Vigo avec mon père mais ce n’était qu’un jeu. Il a cependant déposé en moi la graine d’une passion qui a grandi des années plus tard. Mon père était un passionné de photo, de musique et de sciences. Il a transmis chacune de ses passions à ses trois enfants. J’ai hérité de la première.

Spectacle à l'occasion du salon international du cheval de Séville, le 21 novembre 2006 (AFP / Cristina Quicler)

Il était toujours armé d’une caméra Super 8, et passait sa vie à nous photographier. J’ai encore en tête le souvenir de films en noir et blanc où l’on voit ma mère s’agaçer et froncer le sourcil en s’exclamant: “Encore ?!”. J’ai grandi sous l’objectif de mon père. Mais ses clichés étaient familiaux: anniversaires, repas de famille, promenades au parc. Aujourd’hui j’imagine qu’il se constituait ainsi un stock de souvenirs, qu’il gardait précieusement pour les heures où il serait seul à Séville, sans nous, et ainsi pouvoir se convaincre qu’il avait bien une famille.  

J’ai grandi en Galice et j’y ai mené une existence assez solitaire, où j’avais beaucoup de temps pour méditer. A 16 ans, nous nous sommes finalement tous installés avec mon père près de Séville. Vigo était une ville petite, mais vivante: avec ses bus, le brouhaha des discothèques et soudain je me retrouvais dans un petit village, Tomares. Quand j’ouvrais la fenêtre de ma chambre… je voyais des vaches et des oliviers ! 

(AFP / Cristina Quicler)

Le changement était radical, mais m’a fait le plus grand bien d’un point de vue émotionnel. En Galice, j’étais tournée vers l’intérieur, tandis que l’Andalousie me donnait l’énergie d’extérioriser ce que j’avais en moi. J’ai ensuite fait des études d’image et de son. J’aimais le cinéma, choisir des plans, créer des scènes… En fin de compte c’était comme peindre, colorier. Mais mon passage par la télévision m’a déçue. Mon compagnon à l'époque, Marcelo del Pozo, photographe chez Reuters, m’a inspirée. J’ai commencé à le suivre sur certaines couvertures, et puis j’ai décroché un travail de photographe dans un quotidien local.

Je n’étais pourtant pas complètement conquise. Je voulais travailler pour une agence de presse internationale car je savais que là, je pourrais couvrir une grande variété de sujets, enquêter et proposer des reportages. Je savais que les éditeurs photo, en agence, étaient délicats et respectaient le travail des photographes. J’ai finalement commencé à travailler régulièrement pour l’AFP en 2002.

Corrida à la Maestranza de Séville, en mai 2017 (AFP / Cristina Quicler)

Trois mots pour définir votre travail ?

Créativité, expression, empathie ! Expression car dans mes photos, je projette mon être, mes fantaisies et mes peurs. La réalité est ce qu’elle est mais dans une image il y a aussi la projection de celui qui la crée. Un journaliste se doit d’être neutre, mais son être se retrouve toujours dans ses écrits. Pour moi la photographie c’est de la création: chacune de ces photos m’appartient, je les traite avec tendresse, je les édite avec soin, c’est ce que je ressens pour chacune des images que j’ai prises depuis vingt ans.  L’empathie c'est parce que je m’identifie aux personnes, aux lieux, et même aux objets. 

(AFP / Cristina Quicler)

Cette photographie incarne bien cette idée. C’est un “burladero”, cette barrière en bois qui sépare l’arène des gradins, derrière laquelle les toreros peuvent se réfugier. Pour moi, elle représente la lutte pour la survie de la bête. Elle porte les traces de la charge du taureau, de ses cornes, de son sang. Je me sens en empathie avec ce morceau de bois. Le jour où je l’ai prise, j’ai attendu la fin de la corrida: je voulais absolument faire cette photo. Depuis ma position, de l’autre côté de l’arène, j’avais observé la scène et il m’a semblé que cette planche en bois peint symbolisait tout ce que j’avais vécu.

Je ne sais pas si je pourrais changer de travail. Comment pourrais-je m’exprimer autrement ? Plus j’avance, plus je découvre des points communs avec les peintres, avec des artistes que je n’avais jamais étudié. J’aime de plus en plus la peinture ! En Galice j’ai grandi dans une famille de peintres. Dans la maison de vacances, tous peignaient, je tombais sur des tableaux aux quatre coins de la maison. Les impressionnistes, la peinture romantique, tous: je fond !

Cour d'école à Mairena, près de Séville, où l'on aperçoit une reproduction de Guernica, la toile de Picasso, le 10 septembre 2020 (AFP / Cristina Quicler)

Il m’arrive de me sentir très proche de certains peintres, comme Goya par exemple, mais dans son époque la plus folle. J’aime quand les peintres se laissent aller, qu’ils sont en contact avec leur être profond, qu’ils osent exprimer leurs démons et leurs sentiments.

Procession pour la vierge du Rocio, à Huelva (Andalousie), en août 2019. Cristina Quicler a remporté le prix Andalousie de journalisme en 2020 pour cette photographie (AFP / Cristina Quicler)

Cette photo je l’ai prise de nuit, elle représente la procession du Rocio, il y a comme un halo plus clair, c’est la condensation provoquée par la respiration des pèlerins, mêlée à la poussière qui se dégage de la terre, éclairée par les lumières de tracteurs. J’ai senti que les pèlerins ne faisaient qu’un, ils étaient comme un être vivant qui respiraient et passait par là, près de moi. 

Que représente l'Andalousie pour vous ?

Je sens une grande responsabilité en tant que photographe d’agence internationale. Je représente à la fois l’AFP et l’Andalousie, à travers chaque reportage que je réalise sur ses fêtes et ses traditions.

(AFP / Cristina Quicler)

Je tiens beaucoup à cette photo, c’est un défilé de mode, elle incarne l’Andalousie du flamenco, de la feria. J’aime ces pétales de roses qui jonchent le sol. J’ai cherché à fusionner les volants de la robe de flamenca et les roses, tout en laissant poindre les chaussures dorées et le verni rouge des pieds. 

La lumière de l'Andalousie m'a permis de transcender mes ombres intérieures. La Galice est dans mon cœur, ce sont mes racines maternelles, elle m’a apporté la sensibilité, c’est ma mère. L’Andalousie, c’est mon oxygène, la lumière qui m’aide à lutter et à élever mes filles, c’est la terre qui m’offre mon travail, et plein d’autres possibilités. C’est comme mon diamant, c’est mon père. 

 

(AFP / Cristina Quicler)

Cette photographie en particulier, choisie pour la Une de ce blog, représente une feria, à Séville, un moment de liberté, de bonheur, deux amoureux qui s'embrassent pendant que les gens se promènent, insouciants. J’ai ressenti une grande nostalgie du monde d’avant la pandémie en sélectionnant certaines images. 

Comment travaillez-vous vos photos ?

J’aime jouer avec les ombres et la lumière. Le blanc et le noir. Je ne prépare rien à l’avance, je me jette à l’eau et je créé mes images en répondant à l’appel de la lumière. Il n’y a pas d’ombre sans lumière. 

(AFP / Cristina Quicler)
(AFP / Cristina Quicler)

J’aime aussi dépeindre l’absurdité, l’ambigüité.  L'image qui suit par exemple, montre un pénitent dans son costume un dimanche de Rameaux, les gens sont endimanchés et c’est moi qu’ils regardent. Elle m’a amusée. 

(AFP / Cristina Quicler)

 

Qu'est-ce qu'être une femme photographe aujourd'hui ?

On ne peut que rendre hommage à ces femmes qui ont lutté pour nous, qui ont du déployer tant d’efforts pour être respectées, écoutées. C’est grâce à elles que nous pouvons aujourd’hui travailler librement et continuer aussi à nous battre contre les injustices que beaucoup de femmes subissent encore et pour les générations qui viennent.  Dans mon travail, je ne me sens pas différente. Si ! Il m’arrive souvent de chausser des talons pour travailler: je suis de petite taille, c’est pratique pour les conférences de presse.

Taconeo de la danseuse Ana Morales, Biénnale de Flamenco de Séville le 13 septembre 2015 (AFP / Cristina Quicler)

C’est un avantage: si j’étais un homme, je ne pourrais pas porter de talons (rires). Porter le matériel, surtout les téléobjectifs dont nous nous servons pour les couvertures sportives par exemple c’est dur. Mais il en serait autant pour un homme peu sportif. J’ai beaucoup souffert physiquement, je n’ai pas pris soin de moi, j’ai des problèmes de dos. Maintenant, je tente d’alerter les plus jeunes.

(AFP / Cristina Quicler)
(AFP / Cristina Quicler)

 

 Comme mère célibataire de deux filles, c’est compliqué. Surtout les week ends de foot, quand on travaille jusqu’à minuit ou une heure du matin. Là je me dis “Mais qu’est ce que je fais là ?” Mes filles sont ballotées ici et là, je dois demander des services.  Chaque jour est comme une course d’obstacles, la vie tient à un fil, tu ne sais pas ce que tu gagnes et sur quoi tu vas travailler. 

A l’avenir… mon rêve est de voyager avec mes filles.. Leur offrir la connaissance des êtres humains qui habitent cette planète et produire des reportages qui puissent aussi servir à des fins humanitaires.  

Compagnie nationale de danse, répétition de Don Quichotte à La Maestranza de Séville, le 10 janvier 2018 (AFP / Cristina Quicler)

Entretien et traduction: Michaëla Cancela-Kieffer à Paris

Cristina Quicler