Des travailleurs déblaient la neige devant la gare de Zermatt, après une avalanche qui a coupé la célèbre station de ski du reste de la Suisse, le 9 janvier 2018. (AFP / Mark Ralston)

Enneigés

Zermatt (Suisse) --  Je m’imaginais qu’avec la Suisse, rien à craindre. Parce que tous nos voyages en famille de ces trois dernières années se sont terminés en catastrophe. Littéralement. Des catastrophes naturelles, pour être précis, avec des typhons lors de voyages à Taïwan puis au Japon. Cette année nous avons privilégié la sécurité. La Suisse, aucun risque de typhon. Juste du super ski dans les Alpes pittoresques.

Nous avions oublié les avalanches. 

Une neige, un peu trop, abondante à travers les Alpes. Ici, dans la station de Zinal, en Suisse. Le 9 janvier 2018. (AFP / Fabrice Coffrini)

 

Je suis arrivé à Zermatt avec mon amie et ma fille le 3 janvier, en pleine tempête de neige. Qu’est-ce qu’un skieur et eux snowboardeuses pouvaient demander de plus ? Il y avait tout de même un peu trop de neige ce jour-là, alors nous avons évité les pistes le premier jour. Et le deuxième aussi. Puis nous avons eu deux journées de rêve, sous un ciel bleu. Une autre tempête de neige a frappé le lundi 8. Les remontées ont fermé tôt. 

Le jour suivant, nous avons été réveillés avec toute la station vers 5h30 par un énorme grondement. 

Déblaiement d'une avalanche qui a enseveli la voie ferrée entre Visp et Taesch, non loin de Zermatt, le 10 janvier 2018. (AFP / Fabrice Coffrini)

 

Je skie beaucoup, donc je me suis dit que ce devait être une avalanche, mais contrôlée. « Wow, ils travaillent vraiment tôt aujourd’hui », ai-je pensé en vérifiant l’heure sur mon téléphone. Mais quelque chose clochait. D’abord ça avait l’air vraiment proche et puis au lieu de juste une ou deux détonations qui accompagnent les avalanches déclenchées intentionnellement, il y a eu cinq grondements.

C’était bien une avalanche, mais qui avait enseveli la route et la voie de chemin de fer, emprisonnant les résidents de la station de ski.

 

Et puis j’ai remarqué qu’il n’y avait plus d’électricité. J’ai regardé dehors. La ville était plongée dans le noir. Notre hôtel n’avait pas de générateur de secours. Il y avait juste l’éclairage d’évacuation dans les couloirs. Comme il neigeait fort, je me suis recouché en râlant sur le fait que les remontées mécaniques seraient probablement fermées à cause du mauvais temps.

(AFP / Mark Ralston)

Le courant n’était pas rétabli quand nous nous sommes levés quelques heures plus tard. Nous avons pris nos douches à la lumière d’un smartphone et sommes descendus pour petit-déjeuner. La plupart des hôtes étaient déjà là, interrogeant le personnel, qui leur montrait une vidéo de l’avalanche monstre, prise par une caméra en circuit fermé et mise en ligne sur son site par une station de radio locale. Tout le monde riait à la vue d’un homme, apparemment un peu ivre, rentrant chez lui, et qui se mettait à courir comme un dératé en voyant arriver l’avalanche.

C’est à ce moment que nous avons appris la nouvelle: la ville était coupée du reste du monde. Il n’y aurait pas de ski parce que toutes les remontées mécaniques étaient fermées et parce que l’indice de risque d’avalanche, à 5 sur une échelle de 5, n’avait jamais été aussi élevé en 20 ans.

Comme nous avions encore deux nuits d’hôtel réservées nous n’étions pas trop inquiets pour le départ. Six autres hôtes étaient furieux de ne pouvoir partir pour aller prendre un avion. Le reste des occupants de l’hôtel étaient visiblement des Russes que rien ne semblait pouvoir ennuyer.

Dès que j’ai appris que nous étions coincés je suis passé en mode journaliste au travail. J’ai pris mon appareil photo de loisir et mon unique objectif avant de me rendre à la gare. C’était le chaos.

Les trains avaient arrêté de fonctionner à 17h00 la veille à cause des chutes de neige. L’endroit était plein de touristes attendant des nouvelles. Ils avaient déjà quitté leurs hôtels, et n’avaient donc nulle autre part où aller.

Les services de secours tentaient de déblayer les voies, pendant que d’autres équipes barraient les routes menant à la zone touchée par l’avalanche.


 

Les magasins ont ouvert vers 10h00, les gens ont commencé à sortir dans les rues et les restaurants se sont remplis rapidement. Ça a été une grande journée pour les commerçants, qui avaient à leur disposition une population de 13.000 personnes n’ayant rien de mieux à faire que du shopping.

Le jour suivant, la frustration a été grandissante. Particulièrement après que le premier train qui devait quitter la ville, à 11h15, a été annulé. C’est là que certains ont trainé leurs valises jusqu’à l’héliport. Les taxis se sont fait rare, parce que des personnes préféraient y patienter à l’intérieur sur la route plutôt que d’attendre dehors dans le froid.

Des touristes arrivent à Taesch depuis Zermatt, en hélicoptère, le 10 janvier 2018. (AFP / Fabrice Coffrini)
De l'aide pour ceux dans le besoin. Un hélicoptère apporte du linge propre pour des hôtels de Zermatt. 10 janvier 2018. (AFP / Mark Ralston (AFP / Mark Ralston)

 

 

J’ai couvert mon lot de catastrophes naturelles, dont des tremblements de terre en Chine et au japon, des inondations un peu partout et des ouragans et incendies aux Etats-Unis. Mais cette fois ça n’avait rien à voir. Pour la première fois j’ai pu photographier des gens qu’on évacuait avant d’aller me restaurer chez un Italien de la ville avec un repas délicieux et une excellente bouteille de vin de Toscane. 

(AFP / Mark Ralston)

 

Je dois avouer qu’être coincé dans une station pittoresque au pied du célèbre Matterhorn n’a pas vraiment été une épreuve. La population locale s’est montrée accommodante. Les magasins, qui ferment d’ordinaire pour le déjeuner entre midi et 14h00, sont restés ouverts. Les restaurants et les bars ont fait quant à eux des affaires en or.

A l’hôtel le personnel, tout sourire, nous a conseillé de nous détendre et d’écrire des cartes postales. Les plus agacés étaient les skieurs, réduits à contempler cette belle neige fraîche. Toutes les pistes étaient fermées à cause du temps. Quelques personnes ont pu s’échapper en hélicoptère le mardi après-midi. 

Le mercredi il y a eu plus de vols mais l’attente était si longue que beaucoup se sont rabattus sur le train qui a repris dans la soirée.

Un train pour nulle part, en gare de Zermatt, le 9 janvier 2018. (AFP / Mark Ralston)

 

Nous sommes partis, comme prévu, le jeudi. Mais à petite vitesse. Le train a mis une heure pour rejoindre Tasch, au lieu de 12 minutes. Avant qu’un bus nous descende à Visp, pour un train jusqu’à Zurich. Là-bas on nous a un peu traités en héros.

En fin de compte, question ski, c’était un échec presque complet. Au point que mon boss m’a envoyé un petit message gentil, du genre « Rappelle moi de ne jamais partir en vacances avec toi, parce qu’une catastrophe arrivera ».

En ce qui me concerne, l’an prochain direction la Californie, avec ses ciels bleus et sa neige artificielle. Mais avec ma réputation, je risque d’y aller seul. 

Les restes d'une avalanche, vus depuis le train reliant Zermatt à Tasch. 11 janvier 2018. (AFP / Mark Ralston)

 

Mark Ralston