Dans la bulle du Charles de Gaulle

En mer -- Comment franchir la bulle de la communication ? Je me pose la question comme à chaque reportage avec l’armée. Cette fois ce sera sur le Charles de Gaulle, pour sa mission Arromanches III, avec comme cible le groupe Etat islamique en Irak et en Syrie.

A chacun ses contraintes, la mienne est d’informer avec mes images, celle de l’armée est de communiquer sans mettre en danger ses personnels. L’intérêt de l’exercice est de trouver un terrain d’entente. Pour moi, cela veut dire entrer dans la bulle de la puissance invitante et essayer d’y trouver les interstices.

L’invitation tombe un dimanche, alors que j’attends de partir pour les vendanges en Bourgogne avec ma fille. Etant de service, c’est à moi qu’on demande de partir sur le Charles de Gaulle.

Une chance pareille ne se refuse pas, même si, en pensant aux vendanges c’est un peu la mort dans l’âme.

(AFP/ Eric Feferberg)

C’est mon deuxième tour dans ce labyrinthe, après m’y être essayé en 2011 lors des opérations sur la Libye. L’occasion est d’autant plus belle que le porte-avions fait route vers sa zone d’opérations en Méditerranée orientale.

Je le rejoins depuis la Crète avec un vol en hélicoptère Caïman marine. En une demi-heure, le fleuron de la flotte française se profile sur fond de soleil couchant.

Ça ferait une photo superbe, mais pour des raisons de sécurité interdiction d’ouvrir la porte de l’appareil. Ce sera à travers le hublot. Pas très net, mais le cliché fait l’affaire.

(AFP / Eric Feferberg)

La liste des interdits est longue mais classique : pas de visages de pilotes s’ils sont reconnaissables, ni de ceux des techniciens qui arment les avions. Pas d’escapades en solitaires, nous serons toujours accompagnés à bord. Pour les opérations à venir, nous devrons respecter un embargo jusqu’au retour des premiers avions partis en mission. Un embargo qui sera ensuite avancé à leur départ. Et nous devrons taire le nombre d’appareils qui décollent ou appontent.

C’est plutôt spacieux et nous sommes autorisés à rester habillés en civil.
La nuit est tombée, l’occasion d’un accueil de rigueur dans notre espace de travail, une pièce de régie partagée avec l’équipe de communication du bord.

Dans le noir, nous sommes invités à assister à une opération de ravitaillement par un navire de soutien. L’occasion d’appliquer une règle d’or si on met le nez dehors en pleine nuit, aucune lumière et encore moins de flashes. Donc a priori pas de photos. Les marins ont l’habitude, ils se guident sur les minuscules feux rouges disposés à des endroits clés. Il n’y a pas de lune, mais suffisamment d’étoiles, et surtout une pose longue sans trépied pour « accrocher » un avion Rafale sur le pont d’envol.

Un avion Rafale est parqué sur le pont du Charles de Gaulle le 27 septembre 2016, au cours d el'opération Arromanches III. (AFP / Eric Feferberg)

Vers minuit nous quittons le Charles de Gaulle pour rejoindre, d’un coup d’hélicoptère, le Chevalier Paul. Cette frégate de défense aérienne fait partie de la garde rapprochée du porte-avions. Avec plusieurs autres bâtiments, dont un sous-marin, ils forment une bulle de protection presque parfaite. Encore une , de bulle. Moderne et donc très confortable, avec une cabine pour deux et notre propre cabinet de toilette, un vrai luxe.

Tout comme le dîner offert par le « pacha » du bord, aussi bon qu’à terre et accompagné d ‘une bouteille de vin. Ambiance très cordiale, avec souvenirs de missions de guerre, détendue même, mais toujours sur une certaine réserve.

Un officier dans le Central Ppération de la frégate Chevalier Paul, le 28 septembre 2016. (AFP / Eric Feferberg)

Le bâtiment participe, avec tout le groupe aéronaval, à des exercices d’attaque. Dans deux jours, les appareils du Charles de Gaulle entameront des opérations en Syrie et en Irak, pour préparer la bataille pour la reprise de Mossoul, bastion des djihadistes.

Dans la salle des opérations les officiers ont l’œil rivé sur des écrans. On nous indique courtoisement ce qui peut être photographié. Le personnel de bord est visiblement soucieux de communiquer leur fierté de servir sur ce bâtiment. Certains exercices seront même répétés pour obtenir la bonne prise de vue.

Des marins chargent le barillet du canon de 76 mm sur la frégate Chevalier Paul le 28 septembre 2016 (AFP / Eric Feferberg)

Après encore une nuit nous nous rapprochons à quelques 400 mètres du Charles de Gaulle. C’est une occasion rare d’obtenir des angles de vue inhabituels. A rendre jalouse l’équipe de communication militaire restée sur le porte-avions.  

Pour couronner le tout nous bénéficions d’une virée en Alouette III, un hélicoptère doté de larges baies. Idéal pour capturer le Charles de Gaulle et le Chevalier Paul sous toutes les coutures.

Sous un soleil magnifique le spectacle semble bien paisible.

(AFP/ Eric Feferberg)

Une fois retournés sur le porte-avions nous accédons au pont d’envol. Un privilège réservé aux seuls personnels y jouant un rôle. Le nôtre est temporaire mais soumis à un rituel incontournable. Un passage par le poste de commandement pour s’équiper: bouchons d’oreilles, casque, masque et brassière de sauvetage, comme tout le monde. Le port de la brassière me laisse un peu sceptique mais bon, pourquoi pas.

Un "chien jaune", le 29 septembre 2016. (AFP / Eric Feferberg)

A chacun son ange-gardien, un « chien jaune » en l’occurrence, comme on surnomme les hommes guidant les avions sur le pont, en référence à la couleur de leur blouson. Là, c’est clairement plus pour notre sécurité qu’autre chose.

Parce que la seule communication  possible se fait par gestes. Avec les turbines des avions qui chauffent, le bruit des catapultes et le bourdonnement incessant de l’hélicoptère surveillant les décollages, le raffut est terrible. Impossible d’entendre un ordre ou une consigne.

Premier catapultage de l'opération Arromanches III le 30 septembre 2016. (AFP / Eric Feferberg)

Tout au long du séjour je serai accompagné, aussi bien pour ne pas me perdre que pour éviter tout impair. C’est plus simple, on apprend vite  ce qu’on peut photographier ou pas.

J’aurai mon pilote, à travers un cockpit de Rafale, les traits caché sous un casque à visière baissée et un masque.

Un pilote juste avant le catapultage. (AFP / Eric Feferberg)

Même chose pour les « boum », le surnom donné aux techniciens qui accrochent bombes et missiles guidés sous leurs ailes. C’est un peu plus compliqué parce qu’ils ont la tête nue. Une pose un peu longue de nuit pour l’effet de flou. En revanche, la bombe guidée, dans le cadre, doit rester nette.

Rien ne filtre sur l’objectif de ces appareils qui enchaînent les décollages et appontages, de jour comme de nuit. Inutile de chercher le scoop. On peut simplement observer que des avions reviennent avec apparemment moins de munitions qu’au départ.

Des "boum" en train d'armer un Rafale, le 29 septembre 2016. (AFP / Eric Feferberg)

Alors la priorité, une fois les clichés en boîte, c’est de les transmettre. Et ça prend des heures. Parce que, comme les marins du bord, nous sommes dans une bulle presque étanche. Deux lignes téléphoniques, que j’utiliserai pour transmettre des infos à Paris, les photos et même la vidéo, avec un internet au compte-gouttes.

La clé USB qui sert à stocker les images depuis mon PC est brièvement contrôlée pour s’assurer qu’elle ne contient aucun virus. Ensuite on la connecte à l’ordinateur de la régie. C’est le seul trou dans la bulle et il est tout petit. Le débit renvoie à une autre époque. Le seul avantage c’est que ça aide à faire une sélection drastique de ce qu’on veut transmettre.

Dernières vérifications avant catapultage, le 1er octobre 2016. (AFP / Eric Feferberg)
Catapultage. (AFP/ Eric Feferberg)

 

Sinon la bulle est plutôt confortable. On nous gâte, avec un accès à un carré d’officiers subalternes, décoré de bois, avec bière et whisky. La consommation reste plutôt du côté sobre ceci étant. Nous sommes tout le temps avec l’équipe de com. Nous pourrons échanger avec un élève pilote qui ne participe pas aux missions sur l’Irak.

(AFP / Eric Feferberg)

Dans les entrailles du bâtiment il n’y a que le changement d’éclairage pour indiquer si nous sommes le jour ou la nuit. Quand cette dernière tombe il passe au rouge. Dans le dédale des coursives et des ponts, plus de huit, on se paume facilement. Là-haut, à l’air libre, les appareils sont lancés sans relâche. On peut le supposer, on ne les entend pas toujours. A chacun sa bulle.

Ce blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.

Eric Feferberg