Jérôme Kerviel quitte Modène en marchant, le 19 mars 2014 (AFP / Gabriel Bouys)

Courir à reculons devant Kerviel

MODENE (Italie), 19 mars 2014 – Blouson rouge, lunettes noires et sac au dos, Jérôme Kerviel marche à travers l’Italie depuis un mois. Après avoir rencontré le pape François le 19 février à Rome, l’ancien trader de la Société générale, condamné pour avoir fait perdre 4,91 milliards d’euros à son employeur, a décidé de rentrer à Paris à pied. Son avocat a décrit ce périple de 1.400 kilomètres comme « une marche contre la tyrannie des marchés ».

Pour nous, les médias, il s’agissait de nous trouver sur le chemin du jeune homme de 37 ans ce mercredi 19 mars, date à laquelle la Cour de cassation française devait rendre son arrêt le concernant, six ans après les faits. Mais cela n’a pas été simple…

Jérôme Kerviel allume une cigarette devant son hôtel à Modène, le 18 mars 2014 (AFP / Gabriel Bouys)

Kerviel et ses amis ont ouvert une page Facebook de soutien à sa démarche. Pendant une semaine, j’ai tenté de le contacter par ce biais, en vain. Mon idée de départ était de le photographier pendant qu’il traverserait la Toscane et ses jolis paysages, mais je n’ai hélas pas réussi à le débusquer.

Et puis, finalement, quelqu’un m’a répondu et m’a donné une adresse d’un très modeste hôtel à Modène, dans le nord de l’Italie, où l’ex courtier avait prévu de passer la nuit du 18 au 19 mars. Je suis parti sur place en voiture. En arrivant, à environ un kilomètre de l’hôtel, j’ai enfin aperçu le jeune homme en pleine marche, le visage buriné par le soleil, et j’ai pu prendre les premières images. Puis je l’ai retrouvé à son hôtel.

Jérôme Kerviel arrive à son hôtel de Modène, le 18 mars 2014 (AFP / Gabriel Bouys)

Jérôme Kerviel est plutôt prévenant avec les journalistes. On sent qu’il a bien compris comment fonctionnent les médias. Il a un côté décontracté, mais il y a des moments où, soudain, il se renferme. Il devient complètement absent et ceux qui sont autour de lui ne semblent plus exister…

Plusieurs autres reporters étaient sur ses traces, et il a accepté de leur parler quelques minutes chacun. Je lui ai passé mon téléphone portable et il s’est entretenu un moment avec la directrice du bureau de l’AFP à Rome, Michèle Léridon (en revanche, il a prévenu qu’il ne réagirait pas lorsque tomberait l’arrêt de la Cour de cassation). Il a refusé de nous laisser monter dans sa chambre d’hôtel, mais il n’y a eu aucun problème pour le photographier pendant sa marche sur les routes.

Jérôme Kerviel regarde son téléphone portable en arrivant à Modène, le 18 mars 2014 (AFP / Gabriel Bouys)

Le problème, c’est qu’il marche vraiment comme une fusée. Il fume comme un pompier, mais cela ne l’empêche pas d’avancer à fond la caisse. Il fait des étapes de quinze à trente kilomètres par jour. Pour des raisons que j’ignore, il n’emprunte pas les chemins de traverse mais il marche sur le bord des routes nationales. Il n’est pas facile à photographier, non seulement à cause de la vitesse à laquelle il va (mercredi matin en quittant son hôtel, il nous a semés pendant un long moment dans les sens interdits de Modène), mais aussi parce qu’il faut se positionner devant lui et avancer à reculons pendant que des poids-lourds vous frôlent en roulant à tombeau ouvert.

Mercredi, la Cour de cassation a confirmé sa condamnation à cinq ans de prison, dont trois fermes, mais a annulé les dommages-intérêts record de 4,91 milliards d’euros initialement accordés à la Société générale. Parmi les journalistes, il y avait foule. On se serait crus au festival de Cannes. Les Italiens qui nous regardaient lui tourner autour se demandaient qui était cet homme et ce qui motivait une telle attention. A un moment, à l’heure où la décision de justice a été rendue, on a vu Kerviel parler dans son téléphone portable. Mais, comme il l’avait averti, il n’a fait aucune déclaration.

Gabriel Bouys est photojournaliste de l'AFP à Rome.

Gabriel Bouys