Des partisans de la présidente brésilienne Dilma Roussef manifestent contre la corruption devant le siège de la compagnie pétrolière Petrobras à Rio de Janeiro, le 15 septembre 2014 (AFP / Vanderlei Almeida)

Corrompu ! Menteur ! Ivrogne ! Nazi !

RIO DE JANEIRO, 24 octobre 2014 – Pendant deux heures, ils se foudroient du regard et s’accusent de corruption, de népotisme, de mensonge, de conduire en état d’ivresse ou sous l’effet de drogues, de battre les femmes ou encore d’utiliser les techniques de propagande nazies. Puis, quand les caméras s’éteignent et que les dizaines de milliers de téléspectateurs pris à témoin retournent à leurs oignons, ils s’embrassent sur leurs joues maquillées et ruisselantes de sueur, se félicitent et se souhaitent bonne chance. Ainsi va la campagne pour le second tour de l’élection présidentielle au Brésil, de loin la plus disputée et la plus virulente de l’histoire récente du pays.

Avec les 202 millions de Brésiliens, je suis le témoin un peu perplexe de ce duel entre la présidente sortante Dilma Roussef et son rival Aecio Neves. Après avoir suivi un total de sept débats télévisés depuis avant le premier tour, je peux affirmer que c’est surréaliste, pour ne pas dire schizophrénique.

Dilma Roussef et Aecio Neves au cours d'un débat télévisé à Sao Paulo, le 14 octobre 2014 (AFP / Nelson Almeida)

Selon un sondage, 71% des électeurs toutes tendances confondues se déclarent affligés par les coups au-dessous de la ceinture et les attaques personnelles décochées de part et d’autre pendant la campagne. La violence des échanges a redoublé à l’approche du second tour, Roussef mettant tout en œuvre pour salir son adversaire, et Neves ripostant de façon tout aussi passionnée.

Peut-être en raison de ces reproches formulés par le public, le septième débat de la campagne (et le troisième face à face entre les deux participants au second tour) s’est déroulé de façon beaucoup plus civilisée et a été centré sur les problèmes d’éducation, de santé et de sécurité. Mais il était aussi beaucoup plus ennuyeux. Changement de stratégie ou simple répit avant le quatrième et dernier débat, prévu le 24 octobre au soir ? Cette bataille sur la chaîne TV Globo devait s’avérer décisive pour convaincre, deux jours avant le vote, les 28 millions d’électeurs qui se sont abstenus au premier tour, les 6 millions qui ont voté blanc ou nul et les quelque 4 millions d'indécis.

Les derniers sondages accordent un avantage à Roussef, une ancienne militante de la guérilla gauchiste de 66 ans emprisonnée et torturée sous la dictature militaire (1964-1985), par rapport à Neves, 54 ans ancien sénateur, ancien gouverneur de l’Etat de Minas Gerais et petit-fils de Tancredo Neves, qui avait été élu président du Brésil mais était mort avant de prendre ses fonctions en 1985.

Le Brésil est un pays polarisé : entre le nord-est pauvre, bastion du Parti des travailleurs (PT) de Dilma Roussef, et les métropoles riches du sud du pays où le Parti social-démocrate brésilien (PSDB) d’Aecio Neves réalise ses meilleurs scores. Entre les bénéficiaires des aides directes aux familles défavorisées et des logements subventionnés mis en œuvre par le gouvernement du PT et ceux qui s’opposent à ces programmes. Entre les « toucans » (partisans du PSDB) qui espèrent une alternance après douze ans de pouvoir de gauche et quatre années de faible croissance économique, et les « pétistes » (partisans du PT) qui assurent que le gouvernement Roussef a préservé l’emploi et les salaires malgré la crise, et s’est attaqué à bras le corps l’énorme problème de l’inégalité au Brésil.

Beaucoup d’analystes politiques estiment que la présidente a pris la tête dans les sondages grâce à ses attaques personnelles contre le candidat « toucan », et en s’en prenant au bilan de Neves après deux mandats de gouverneur de Minas Gerais.

Rumeur de violences

Pour ma part, je ne peux m’empêcher de penser que tous ces échanges de coups bas portent préjudice aux deux candidats, confortent l’opinion selon laquelle les politiciens sont « tous pareils » et nuisent aux institutions d’un pays déjà gangrené par la corruption et l’inefficacité de sa classe politique, comme l’ont reflété les manifestations populaires massives de 2013.

On pouvait sentir l’électricité dans l’air du studio lors du premier débat télévisé, quand Roussef a demandé à Neves s’il respecterait la loi contre la violence domestique au cas où il serait élu. Une allusion à une rumeur née d’un billet de blog du journaliste sportif renommé Juca Kfouri en 2009, qui avait accusé Neves, alors gouverneur de Minas, d’avoir poussé et frappé une femme qui l'accompagnait pendant une fête dans un hôtel de luxe de Rio de Janeiro. Kfouri ne basait ses affirmations que sur une seule source anonyme, et tant Neves que son épouse ont toujours catégoriquement démenti.

Aecio Neves salue l'ancienne candidate du Parti socialiste brésilien Marina Silva au cours d'un meeting à Sao Paulo, le 17 octobre 2014 (AFP / Nelson Almeida)

« Moi je ne conduis pas sous les effets de l’alcool ni de la drogue », avait ensuite lancé Roussef lors du deuxième débat, en rappelant que Neves, qui traîne une solide réputation de fêtard et de playboy, avait un jour refusé de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie après avoir été arrêté par la police sur la route. Au cours de ce débat et des suivants, la présidente et son rival s’étaient mutuellement accusés d’avoir pistonné des membres de leurs familles respectives pour qu’ils trouvent du travail dans l’administration. Neves avait accusé le PT de se financer grâce à des fausses factures. Roussef avait accusé Neves d’avoir construit un aéroport dans l’hacienda de son oncle. Et le site internet du Tribunal des comptes publics avait été mystérieusement mis hors ligne après que Roussef eut appelé les téléspectateurs à s’y rendre pour constater que 3 milliards de dollars prévus au budget de Minas Gerais pour améliorer le système de santé de l’Etat n’avaient en fait jamais été dépensés.

Dilma Roussef en campagne à Rio, le 20 octobre 2014 (AFP / Yasuyoshi Chiba)

La bataille ne se déroule pas que sur les plateaux de télévision et dans les meetings. Elle fait également rage dans les tribunaux. Neves a poursuivi Roussef en diffamation pour ses accusations concernant son « manque de respect » supposé envers les femmes. Le PSDB s’est vu obligé par la justice à retirer un spot électoral contenant un vieil enregistrement de Roussef déclarant que Neves était « un des meilleurs gouverneurs du Brésil ». Neves a par ailleurs affirmé que Joao Santana, le directeur de campagne de Roussef, était « un disciple de Goebbels, ministre de la propagande nazie de Hitler, qui disait qu’un mensonge répété mille fois devient une réalité ».

"Fils à papa"

Ce à quoi a répliqué furieusement l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, pendant un meeting en présence de Roussef. « Ils nous agressent comme les nazis agressaient les gens pendant la seconde guerre mondiale. Ils sont intolérants. Je leur ai dit l’autre jour : vous êtes plus intolérants qu’Hérode, qui avait donné l’ordre de tuer Jésus-Christ quand il était né de crainte qu’il ne devienne l’homme qu’il est devenu. Et vous voulez en finir avec le PT, avec notre présidente, vous voulez la ridiculiser et l’accuser de manque de sérieux. Il n’y a qu’un petit fils à papa pour faire cela ».

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Sur les réseaux sociaux, les internautes commentent en direct chaque débat télévisé à grand renfort d’insultes, d’approximations et de grossièretés. C’est aussi sur Twitter qu’a surgi un des grands mystères de la campagne : l’appui soudain apporté à Aecio Neves par l’actrice américaine Lindsay Lohan, connue pour ses problèmes d’alcool et de drogue. Son tweet a été effacé à la suite d’une avalanche de blagues de mauvais goût. Le PSDB a dit qu’il n’était pas au courant de ce soutien.

J’ai parfois l’impression que huit débats télévisés en un peu plus d’un mois, c’est un peu trop. Le niveau des discussions est souvent affligeant et l’exercice s’apparente de plus en plus à un show grotesque et artificiel. Malgré tout, il est sain de voir, dans ce pays sorti de la dictature militaire depuis moins de trente ans, les candidats défendre leurs programmes et s’affronter entre eux avec la parole pour seule arme.

S’ils comparaient les propositions des deux camps, les Brésiliens se rendraient vite compte qu’il y existe plus de points communs que de points de désaccord. Sans doute est-ce pour cela que les empoignades à l’écran les plus tonitruantes se terminent toujours par des sourires et des bisous.

Laura Bonilla est la chef de la rédaction de l’AFP au Brésil.

Avant le débat télévisé du 26 août 2014 à Sao Paulo (AFP / Miguel Schincariol)
Laura Bonilla