Ciel, un drone !
PARIS, 6 mars 2015 – Ces derniers jours, les survols interdits de centrales nucléaires ou de la ville de Paris par des drones non identifiés donnent des maux de tête aux autorités françaises. Le problème, bien sûr, intéresse beaucoup les médias, lesquels sont naturellement demandeurs de photos pour accompagner leurs articles sur le phénomène. Mais évidemment il faudrait un sacré coup de chance pour réussir à photographier un vrai drone clandestin dans le ciel de la capitale…
Ce vendredi 27 février, je suis donc mandaté pour prendre des « photos d’illustration » de drones, des images passe-partout que nos clients pourront utiliser à chaque fois qu’ils parleront de ces engins. Cette mission ne tombe pas sur moi par hasard : je suis moi-même un amateur de drones. J’en possède deux chez moi, qui me servent à faire des photos aériennes quand je suis en weekend à la campagne. Il fait très beau à Paris ce jour-là. Me voici parti avec mon drone de deux kilos sous le bras pour l’immortaliser dans les lieux-phares de la capitale sur fond de ciel bleu.
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Problème : comment faire voler un aéronef télécommandé au-dessus de Paris pour les besoins de mes photos alors que c’est strictement interdit ? Deux jours plus tôt, des reporters de la télévision Al-Jazeera qui faisaient voler un drone au Bois de Boulogne pour les mêmes raisons que moi ont été interpellés par la police et placés en garde-à-vue. L’un a écopé de mille euros d’amende…
Comme je suis un citoyen respectueux des lois, mon idée de départ est de photographier mon drone sagement posé devant la Tour Eiffel. Mais je me dis vite qu’une photo de ce genre risque d’être assez nulle… En réfléchissant, je découvre qu’il doit quand même exister un moyen légal de faire voler un drone dans le ciel de Paris. Et ce moyen, c’est…
Mais laissez-moi d’abord vous parler des motards. Le motocycliste de presse, c’est le meilleur ami du photographe. Le service photo de l’AFP à Paris en emploie deux, qui nous transportent à l’arrière de leurs motos sur des événements comme le Tour de France. Ils savent se placer au bon moment au bon endroit et il n’y a pas de bonne photo sans bon motard. Ce sont nos grands complices, qui outre les déplacements en moto nous rendent toutes sortes de services.
Ce jour-là, mon motard s’appelle Guy Andrieu et il sera mon lanceur de drone.
Le plan, c’est d’utiliser le drone tous moteurs arrêtés (j’ai même pris la précaution de retirer la batterie pour prouver notre bonne foi en cas de contrôle de police). Guy le lancera en l’air de toutes ses forces pour que je puisse mitrailler l’engin en suspension dans le ciel, puis le rattrapera dans ses bras. Les passants nous prendront sans doute pour des fous, mais je pars du postulat que lancer dans les airs un drone éteint ne nous conduira pas derrière les barreaux…
Première étape : la Tour Eiffel. On se rend vite compte que le projet est plus facile à imaginer qu’à mettre en œuvre. Très souvent, le lancer est complètement raté et le drone vole n’importe comment avant de retomber. Pour une photo réussie, il faut au moins dix lancers et Guy doit faire attention de ne pas louper la réception dans ses bras de mon dispendieux joujou. A un moment, mon coéquipier se prend les pieds dans je ne sais trop quoi et s’étale de tout son long dans une flaque d’eau.
Puis, nous sommes dénoncés. Notre spectacle comique a attiré l’attention. Nous voyons un bonhomme se diriger vers trois policiers à vélo qui passaient dans le coin. Le mouchard pointe le doigt vers nous en parlant avec les agents. Ces derniers nous regardent sans intervenir. Nous sentons qu’il est temps de changer d’air.
Etape suivante : le Parc de Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, d’où l’on jouit d’une belle vue sur la capitale. Là, un petit attroupement se forme très vite autour de nous.
- Alors, vous le faites voler quand, votre drone ? demande quelqu’un.
- Il ne vole pas…
- Ah ? A quoi il sert alors ?
Et quand on commence notre manège Guy et moi, les gens se tordent de rire.
La dernière série de lancers a lieu au milieu des tours du quartier d’affaires de La Défense. Même manège sous les regards stupéfaits des passants. Trois heures et plusieurs centaines de lancers plus tard, la mission est accomplie. Mon drone est intact. Il n’en va pas de même pour Guy, qui après sa chute dans la flaque d’eau en est quitte pour un changement de vêtements, un brin de toilette, et une belle douleur à l’épaule.
Dominique Faget est un photographe de l’AFP basé à Paris.