Batman et Superman jouent sur un toit d'immeuble à Beyrouth, le 23 mars 2016 (AFP / Patrick Baz)

Batman contre Superman sur les toits de Beyrouth

BEYROUTH, 5 avril 2016 – Quand on est photographe professionnel, rester assis devant un ordinateur à répondre à des mails ou à parler au téléphone est une perte de temps. Dans ce métier, on ne peut pas attendre que les choses vous tombent toutes cuites du ciel. On ne peut pas non plus toujours compter sur la chance. La chance, il faut la tenter, la provoquer.

C’est comme ça que j’ai pu faire ces images de Batman et de Superman, qui ont eu un succès monstre dans le monde entier. Par un heureux hasard. Mais aussi un hasard que je suis allé chercher.

Je me suis installé à Beyrouth en septembre dernier et depuis, je passe le plus clair de mes journées à marcher dans les rues en trimbalant mes appareils photo. C’est plus facile de se déplacer comme ça, dans cette ville perpétuellement embouteillée où il n’y a ni métro ni réseau d’autobus. Si j’étais en voiture, je passerais mon temps assis au milieu du trafic, ou à chercher à me garer. J’utilise aussi les taxis collectifs, qui sont un moyen de locomotion bien pratique mais pas toujours très sûr pour qui porte sur soi un onéreux matériel photographique. Et je n’ai pas de vélo, car en faire à Beyrouth n’est pas pratique du tout. Donc je finis toujours par opter pour la marche à pied.

(AFP / Patrick Baz)

C’est ainsi que je tombe sur Mario Chiha - celui qui est habillé en Superman sur les photos - et son groupe d’amis. C’est une rencontre complètement imprévue. Elle a lieu juste après le déjeuner. Je suis sorti dans la rue et je n’ai pas grand-chose à faire cet après-midi-là. Ils sont en train de se préparer pour une séance de pose pour une campagne publicitaire.

On l’oublie parfois, mais Beyrouth est comme n’importe quelle autre grande ville du monde, aussi prospère et aussi corrompue que beaucoup d’autres capitales. C’est aussi une ville plus vivante et dynamique qu’on l’imagine, qui se démène pour effacer les traces de la guerre.

La Gotham City du Moyen-Orient

Certaines personnes trouvent que Beyrouth ressemble à Gotham City. Il est vrai qu’il y a des similitudes, avec tous ces gratte-ciels à l’arrière-plan. Mais auriez-vous imaginé Batman et Superman à Beyrouth ? Moi non, jamais ! Je suis donc très surpris de tomber nez à nez sur ces personnages fabuleux pendant ma promenade digestive. Je me dirige vers eux et je me présente.

(AFP / Patrick Baz)

Cette rencontre inopinée a l’air de les ravir autant que moi. La campagne publicitaire à laquelle ils participent a été commanditée par la marque Grand Cinemas au Liban (on peut voir les photos sur les comptes Instagram @gclebanon, @livelovecinema et @livelovebeirut). Elle est réalisée par Live Love Beirut, un groupe de jeunes Libanais qui depuis quelques années s’évertue à promouvoir une image positive de leur pays sur les réseaux sociaux, mais qui manque un peu de moyens. L’irruption soudaine d’un photographe professionnel d’un média international sur les lieux de leur shooting ne les dérange pas. Bien au contraire, ils ont l’air enchantés.

Cascades improvisées

Mario est une figure assez connue de Beyrouth. C’est un acrobate et un cascadeur. Si vous tapez son nom dans Google, vous découvrirez tous ses exploits, aussi fous les uns que les autres. Et le voilà en train de s’amuser dans la rue avant une séance photo publicitaire. Après une brève conversation, nous voilà tous grimpant sur le toit d’un immeuble pour une petite séance de photo improvisée.

(AFP / Patrick Baz)

Ce sont de grands enfants, et une fois là-haut ils se mettent tout de suite à effectuer des cascades vertigineuses. Ils me donnent la chair de poule. A plusieurs reprises, je leur crie de faire attention. Je dois parfois littéralement les tirer en arrière quand ils s’approchent trop dangereusement du vide. Je me sens bien vieux tout à coup, comme un père inquiet. Mais au final, tout se passe bien. Ils savent ce qu’ils font, ils savent ce qu’ils veulent. Et moi je n’ai qu’à me préoccuper de trouver la bonne lumière pour les photos.

Talibans et Chippendales

Voilà exactement le type d’image que je suis toujours en train de chercher. Les photos de rue, de la vie d’une grande ville, de la société, marchent toujours très bien. La preuve: elles sont aussitôt reprises par les médias internationaux, dont le New York Times et le Washington Post, pour illustrer les articles sur la sortie du film Batman v Superman: L'Aube de la Justice de Zack Snyder. Ce succès nous prend complètement par surprise. Mario et ses amis sont surexcités, ils n’auraient jamais imaginé un tel triomphe pour leur petit jeu sur les toits de Beyrouth.

(AFP / Patrick Baz)

Pendant toute ma carrière, j’ai couvert des guerres, au Moyen-Orient et ailleurs. Mais maintenant ce qui m’intéresse, c’est de photographier la société libanaise. Je suis constamment à la recherche de sujets culturels ou qui montrent la vie de tous les jours. Ce sont ces sujets-là que les gens aiment, bien plus que la politique ou les conflits. Et Beyrouth est un endroit parfait pour cela.

Je le dis toujours : le Liban est un pays de petite taille mais où l’on trouve toutes sortes de gens, des talibans comme des Chippendales, et la capitale est un lieu exotique et plein de contradictions. Tous les jours, on tombe sur quelque chose de complètement différent. Il y a de tout, pour tout le monde. Et pour un photographe, c’est fascinant.

Patrick Baz est un photojournaliste de l’AFP basé à Beyrouth. Suivez-le sur Twitter (@Patrick_Baz) et sur Instagram. Cet article a été écrit avec Solange Uwimana à Paris et traduit de l’anglais par Roland de Courson.

Patrick Baz