Enfant en costume traditionnel, Kinshasa, 26 septembre 2016. (AFP / Eduardo Soteras)

Au Congo, je suis "blanche"

Lubumbashi (RD Congo) --  A peine suis-je descendue de l'avion en République démocratique du Congo qu'un douanier essaye de me montrer une vidéo de décapitation d'étrangers sur son portable tandis que son collègue me demande en mariage. Je me souviendrai longtemps de mon arrivée à Lubumbashi, capitale minière au sud du pays.

Après avoir décliné aussi poliment que possible l’un comme l’autre, je récupère mes valises et fais mes premiers pas en RDC, un rêve pour moi mais aussi une expérience radicalement différente de tout ce que j’ai connu jusqu’à présent.

Par exemple, ici, pour la première fois de ma vie, je suis considérée comme « blanche ».

Un adepte du kimbanguisme, une religion d'inspiration chrétienne, se purifie en se plongeant trois fois dans l'eau, à Nkamba, le 24 mai 2017. C'est le lieu de naissance de Simon Kimbangu, qui a fondé le mouvement en 1921, au service de l'émancipation de l'Homme noir face au colonisateur belge. (AFP / John Wessels)

 

Journaliste française, j’ai travaillé au Cambodge, à Hong Kong, et désormais à New Delhi où je suis la coordinatrice vidéo de l’Agence France-Presse pour l’Asie du Sud.

Cela fait plus de cinq ans que je sillonne l’Asie. Je m’y suis habituée à caser tout mon matériel, ordinateur portable et trépied compris, à l’arrière de rickshaws fous fonçant dans des allées bondées et bordées de stands de nourriture fleurant bon la citronnelle ou le masala. Le tout en transpirant sous une chaleur de plomb ou en protégeant tant bien que mal ma caméra de la pluie des moussons.

Festival de danse de Goma, est de la RDC, 30 avril 2017. (AFP / Griff Tapper)

 

En revanche, l’Afrique était pour moi une terre complètement inexplorée. Lauréate du fellowship de l’International Women’s Foundation (IWMF), qui sponsorise des reportages de femmes journalistes venues du monde entier dans la région des Grands Lacs Africains et en Amérique Latine, j’ai eu l’occasion de m’y rendre pour la première fois en mai.

Le fellowship m’a d’abord conduite au Kenya, où j’ai passé quelques jours à apprendre à briser des nez, quand je ne me faisais pas kidnapper à répétition par des acteurs armés de machettes un peu trop zélés, dans le cadre d’un entraînement pour journalistes en environnement hostile.

Dans les locaux de la Katumbi Football Academy, à Lubumbashi, 11 mai 2017. (AFP / Agnes Bun)

 

Puis les choses sérieuses ont commencé avec mon arrivée à Lubumbashi, où j’ai passé un peu plus d’une semaine à travailler sur deux reportages texte, photo et vidéo pour l’AFP, l’un sur l’Académie de football du club congolais Tout-Puissant Mazembe, l’autre sur les femmes peintres d’un village qui ont réussi à écouler leurs oeuvres en France pour des dizaines de milliers de dollars.

 Ces sujets, très différents l’un de l’autre, m’ont permis aussi bien d’explorer la ville que la campagne, de parler à des adolescents comme à des villageoises, et de filmer dans un stade bondé de 18.000 personnes tout comme dans un petit village sans électricité.

 

Très vite, les différences entre l’Inde et le Congo m’ont sauté aux yeux. En France, du fait de mes origines chinoises, beaucoup me prennent pour une touriste asiatique. En Inde, on pense souvent que je suis népalaise. Mais au Congo, pour beaucoup je suis simplement une “mzungu” - une “blanche” - pour la première fois de ma vie, au même titre que mes collègues du fellowship, blondes aux yeux bleus.

Pour la vidéaste que je suis, il a été absolument fascinant de travailler avec une palette de couleurs aussi différente. Les pagnes des Congolaises n’ont rien à envier aux saris des Indiennes en ce qui concerne la vivacité des couleurs et le raffinement des motifs.

Des fidèles célèbrent la fête musulmane de l'Aïd al-Fitr, au Stade des MaArtyrs à Kinshasa, le 25 juin 2017. (AFP / John Wessels)

Moi qui suis habituée à filmer sous le cruel soleil indien, j’ai dû apprendre à apprivoiser la lumière congolaise, plus douce, mais tout aussi capricieuse à sa manière. En ce début de saison sèche, d’immenses nuages n’arrêtaient pas de défiler langoureusement au-dessus de la tête de mes interviewés, changeant constamment la lumière sur leur visage.

Filmer la peau des Congolais, souvent plus sombre que celle des Indiens, est un exercice fascinant et exigeant: la façon dont leur visage reflète la lumière est incroyable mais laisse peu de place à l’erreur, notamment en cas de plan sous-exposé.

Travailleurs à l'usine de savon Crystal Soap, à Butembo, 12 novembre 2016. (AFP / Eduardo Soteras)
Joséphine Muloba décore une case, à Makwatsha, 13 mai 2017. (AFP / Agnes Bun)

 

 

Une autre différence, radicale pour moi, a été linguistique. Pouvoir parler français et me passer de fixeur ou traducteur improvisé a été une libération. Je déteste braquer ma caméra sous le nez de personnes sans avoir échangé au préalable quelques mots, m’être présentée, mais parfois la barrière de la langue me complique la tâche.

Il m’arrive souvent d’être frustée en Inde de repartir avec ces portraits magnifiques de villageoises roulant des cigarettes traditionnelles, de fermiers enturbannés fumant la hookah, sans être parvenue à avoir une vraie conversation avec eux.

Au Congo, quel bonheur ça a été pour moi de pouvoir débarquer dans des quartiers, même parmi les plus reculés, et être capable de discuter avec des enfants, des anciens... Echanger dans ma langue maternelle dans un environnement aussi différent était une expérience à la fois étrangement familière et inédite.

 

J’ai aussi redécouvert le plaisir de pouvoir marcher dehors sans me faire dévisager, sans transpirer un litre d’eau par minute et en respirant un air pur, chose rare à Delhi, capitale la plus polluée du monde d’après l’OMS. Dans les rues de Lubumbashi, la foule est aussi moins dense, et surtout je n’ai pas eu à redouter les mains baladeuses qui sont hélas le lot de bien des tournages parmi les foules du nord de l’Inde.

Bien sûr, réaliser des reportages au Congo implique aussi son lot de difficultés. Au niveau administratif, je ne suis pas dépaysée: les démarches peuvent être aussi laborieuses qu’en Inde, et nous avions constamment les poches pleines de cigarettes au cas où il aurait fallu graisser des pattes (ou plutôt des poumons) aux postes de contrôle.

Jeune vendeur d'ustensiles de cuisine, à Beni, 9 novembre 2016. (AFP / Eduardo Soteras)

 

D’autres imprévus ont ponctué mon séjour: l’une des personnes que j’ai interviewées était persuadée que mon fixeur était un espion; nous sommes passés en voiture près d’un cadavre gisant dans la rue; des policiers ont roué un homme de coups, à quelques mètres de moi - ils le soupçonnaient d’être un voleur; l’une des journalistes qui avaient remporté le fellowship avec moi a failli être lynchée par une foule hostile aux abords d’une mine. La tranquilité ambiante semble pouvoir voler en éclat à tout moment.

Pause pour des mineurs de cassitérite, près de Nzibira, au sud-ouest de Bukavu, le 29 mars 2017. (AFP / Griff Tapper)

 

Discutant avec une journaliste congolaise, je me suis aussi rendue compte que pour les reporters locaux, exercer leur métier pouvait s’avérer difficile, notamment pour une femme. A côté, je me sens très privilégiée de pouvoir travailler au quotidien sans être inquiétée.

Marcel Proust a écrit que “le seul véritable voyage… ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.” Je suis repartie du Congo avec l’impression d’avoir réussi à entrapercevoir une petite partie de la richesse de ce pays, à travers ces centaines de regards que j’ai eu la chance de croiser, et pour certains, d’immortaliser en image.

Prince Kasongo, membre de la Katumbi Football Academy, dans sa maison à Lubumbashi, le 15 mai 2017. (AFP / Agnes Bun)

 

Agnès Bun