En parcourant le Sud-Kivu
BUKAVU (République démocratique du Congo), 7 avril 2015 – Le voyage en ferry de Bukavu à Goma est une vraie plongée dans la société congolaise. Je prends cette série d’images alors que je suis en train de terminer mon premier voyage hors de Kinshasa, où je me suis installé il y a un mois comme photographe indépendant. Je fais partie d’une équipe envoyée par l’AFP pour une série de reportages dans les régions troublées de l’est de la R.D. Congo.
Le navire parcourt tout le lac Kivu, le long de la frontière rwandaise. Le voyage dure assez longtemps pour me permettre d’explorer le bateau de fond en comble, d’observer les marins, les passagers, les différences entre les classes. Je prends le temps de discuter avec tout le monde. Quelques minutes avec les mécaniciens dans la salle des machines bruyante et noyée dans les relents d’huile de vidange. Puis c’est au tour des chefs dans la cuisine. Puis je me promène dans les ponts réservés aux passagers.
Dans la quatrième classe, un homme harangue les autres voyageurs. Même si je ne parle pas swahili, je me rends compte rapidement qu’il s’agit d’un prédicateur en plein sermon. L’assistance semble heureuse de savoir que Dieu est de son côté pendant la traversée.
Je monte jusqu’à la première classe, située sur le pont supérieur. L’ambiance est complètement différente : une quinzaine de passagers sirotent leurs sodas, prennent des photos du lac, pianotent sur leurs smartphones, bavardent ou dégustent les poissons du lac que j’ai vus quelques minutes plus tôt en train de mijoter dans la cuisine, quelques étages plus bas.
J’ai pris ces photos pendant le voyage de retour d’un périple d’une dizaine de jours au Sud-Kivu. Initialement, le voyage devait durer deux semaines. Sauf que la veille du départ, je me suis fait confisquer mes appareils à Kinshasa et que j’ai mis cinq jours pour les récupérer…
A l’aller, plutôt que le bateau classique, j’ai opté pour une vedette rapide qui m’a mené de Goma, où a atterri mon avion en provenance de la capitale, jusqu’à Bukavu, à l’extrême sud du lac Kivu.
Là, je rejoins mes compagnons de reportage : le chef du bureau de l’AFP à Kinshasa Marc Jourdier, la reporter vidéo Kathy Katayi et notre correspondant à Bukavu Jean-Baptiste Baderha. Nous nous dirigeons vers le sud et les rives du lac Tanganyika. Je garde les yeux grand-ouverts tout le long du voyage, à la recherche de bonnes images.
Un matin de bonne heure, en regardant par la fenêtre de ma chambre d’hôtel à Uvira, au bord du Tanganyika, j’aperçois des bateaux de pêche qui s’approchent du rivage. J’attrape mon appareil photo et je me précipite vers la plage. La lumière de l’aube, les bateaux traditionnels et les enfants qui jouent forment une combinaison magique.
Quelques jours plus tard, alors que nous roulons entre Baraka et Fizi, plus au sud sur le lac, nous tombons sur une rivière qui a débordé de son lit. Les vélos, les motos et les quelques voitures sur la route doivent attendre leur tour pour franchir un gué. J’en profite pour descendre me dégourdir les jambes et prendre quelques photos. Notre tour venu, je remonte dans la voiture. Juste à ce moment, un homme perd le contrôle de son vélo lourdement chargé de foin qui tombe dans le fossé et finit sa course dans une posture pour le moins improbable, sous nos yeux.
A première vue, le Sud-Kivu ressemble à un havre de paix : une campagne bucolique, des montagnes d’un vert profond, des lacs paisibles et des panoramas splendides. Sauf que tout le monde, dans ces contrées en proie depuis des décennies aux combats et aux atrocités en tout genre, a son lot d’histoires épouvantables à raconter. Il suffit de quelques minutes de conversation avec quiconque pour revenir à la triste réalité : nous sommes dans une région extrêmement instable, qui reste marquée par les violences perpétrées par les miliciens devenus bandits de grand chemin et par d’interminables conflits entre groupes ethniques, factions armées et armée régulière.
Sur le chemin, nous traversons le village de Mutarule, où je photographie un petit cimetière décoré de petites fleurs roses, très délicates. Trente-deux croix marquent les tombes des victimes d’un massacre interethnique perpétré il y a tout juste un an. Nul besoin d’aller très loin, au Sud-Kivu, pour tomber sur les traces d’une violence toute fraîche…
Federico Scoppa est un photographe indépendant basé à Kinshasa qui collabore avec l’AFP.