Win Tin : de journaliste à l'AFP à résistant à la tyrannie
RANGOUN, 29 oct. 2013 - Il vit comme un simple, en longyi à carreaux. Mais sa chemise bleu roi est moins anodine qu'elle n'y paraît: c'est celle qu'il portait au cours de ses vingt années de détention. Jamais il ne s'en sépare: il est des combats que l'on n'abandonne pas. Win Tin, 84 ans, reçoit dans une petite dépendance de sa maison bourgeoise et décatie du centre de Rangoun. Une pièce sombre avec une sorte de véranda grillagée qui donne sur la rue, et d'où on se laisse envahir par le vacarme d'une cité renaissante, les vendeurs ambulants, les klaxons et les moteurs toussotant.
L'infatigable dissident porte beau, avec son épaisse chevelure blanche, ses larges lunettes et son embonpoint de vieux monsieur dont la prison n'est pas venue à bout. En face de lui, il a placardé sur le mur une affiche témoignant d'un prix décerné par Amnesty International alors qu'il fêtait un énième anniversaire en détention.
Difficile de s'enlever de l'esprit qu'on a devant les yeux un des plus grands combattants pour la démocratie de Birmanie, l'ex-plus ancien détenu du pays, et le cofondateur avec Aung San Suu Kyi de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), réhabilitée il y a deux ans par les militaires et désormais considérée comme le grand favori des élections législatives de 2015. Difficile de ne pas chercher dans ce regard résolu une trace, un marqueur, une explication pour donner les clés d'un homme qui a tenu tête à l'un des pires régimes de la planète sans perdre ni sa foi, ni sa lucidité, ni sa capacité d'autocritique.
Et pourtant. Il est bien ordinaire lorsqu'il raconte ses débuts de carrière, au début des années 1950, au bureau de l'AFP à Rangoun. Un certain Htin Gyi est alors chef du bureau de la capitale birmane, fraîchement indépendante. «Le bureau était en face de l'église Saint-Paul, une maison en bois de trois étages», explique-t-il.
Le jeune Win Tin travaille alors comme éditeur de nuit. «On utilisait le morse, une sorte de télégraphe. L'AFP était l'agence la plus connue à l'époque», assure-t-il en décrivant une vive scène médiatique birmane, riche de quelque quarante journaux birmans, chinois, tamouls, hindis et dont beaucoup publient en anglais, dans un pays placé jusqu'en 1948 sous colonisation britannique.
Les moyens techniques sont sommaires et la liaison est fréquemment coupée en cas de mauvais temps. «Les opérateurs n'étaient pas très éduqués. Ils tapaient ce qu'ils entendaient et nous donnaient les documents. Donc nous devions éditer beaucoup et nous assurer de l'exactitude des noms et des faits», se souvient l'octogénaire.
Les soirs de grandes rencontres de football, dans un pays où le ballon rond fait la fierté de la région, les opérateurs écoutent les matches à la radio en même temps que les messages en morse. «Il y avait beaucoup d'erreurs parce qu'ils n'arrivaient pas à se concentrer»...
Son travail consiste aussi à distribuer ces informations envoyées de Paris aux clients birmans. «On délivrait les informations aux journaux en vélo. Certains venaient au bureau pour les chercher. Les transports étaient compliqués», se souvient-il. «Les infos venaient de Paris 24 heures sur 24, avec 200 ou 300 pages par jour». Les clients se comptent jusqu'à Mandalay, la grande ville du centre de pays, où les dépêches sont envoyées par avion. Quant aux photos, elles sont envoyées par la poste. L'AFP a alors le vent en poupe dans le pays asiatique: l'agence britannique Reuters est accusée de partialité pro-coloniale et AP n'est pas vraiment implantée dans cette partie du monde.
Entamée en 1951, la carrière d'agencier de Win Tin dure trois ans jusqu'à ce qu'il trouve un opportunité aux Pays-Bas où il s'installera trois ans. En 1962, Ne Win fait son coup d'Etat à Rangoun. La Birmanie plonge dans la tyrannie. «La raison pour laquelle je suis entré en politique, c'est la pression exercée par les gouvernements militaires», explique le militant. «Ils nous mettaient la pression. Ils saisissaient des journaux et des maisons d'édition. Comme j'avais beaucoup de contacts en politique, j'y suis entré».
Des décennies plus tard, il est toujours là. Il lit des biographies politiques, suit les informations mondiales sur la BBC et garde un œil attentif et critique sur la stratégie d'Aung San Suu Kyi en vue des élections de 2015.
Son histoire à l'agence ne tient plus qu'à quelques souvenirs. «J'ai appris que Htin Gyi était mort en 1981. Presque tous ceux que j'ai connus à l'AFP sont déjà morts. Certains ont changé de travail, d'autres sont partis à l'étranger. Nous avons perdu contact».
Mais celui qui est sorti de prison en 2008 après quelque 20 ans en détention est entré dans l'Histoire politique de son pays. L'éditeur de dépêches en est devenu le sujet.
Hla Hla Htay est la correspondante de l'AFP à Rangoun. Didier Lauras a dirigé le bureau de l'AFP à Bangkok de 2009 à 2013.