A visage découvert, ou presque
Ryad (Arabie Saoudite) -- Cela a été un véritable travail de persuasion. La première femme saoudienne à travailler dans une station-service ne voulait pas être interviewée à l’extérieur. Je l’ai convaincue de le faire.
Ensuite elle ne souhaitait pas être vue en train de superviser le travail des employés masculins. C’est pourtant la réalité de son travail. Je lui ai dit qu’en osant le montrer, elle serait un véritable exemple de ce qu’une femme saoudienne peut être aujourd’hui. Elle a accepté. Et j’en suis très fière.
Je suis arrivée en poste à Ryad en août dernier, comme journaliste reporter d’images. J’ai commencé ce métier au Liban, mon pays d’origine, à Beyrouth. Mes parents ne voulaient pas que je fasse d’études de journalisme. Ils me disaient que ce n’est pas un métier pour une fille, que je ne gagnerai jamais ma vie, et que ça compliquerait ma vie de famille.
Mais je voulais vraiment être journaliste, c’était mon rêve depuis l’école. Je voulais faire une différence dans la société, devenir un exemple pour d’autres. J’y ai un peu réussi je crois, même si je crois aussi qu’il me reste beaucoup à faire.
Et de ce point de vue, travailler en Arabie saoudite est une chance extraordinaire.
J’ai entendu tellement de choses sur la difficulté à y exercer un métier pour une femme. Au point d’en avoir un peu peur, et notamment de ne pas être acceptée au sein de cette société. Je savais bien entendu qu’il me faudrait m’habiller autrement, avec l’abaya, dès que je mets un pied dehors. Mais je me demandais quel regard on porterait sur moi, surtout avec une caméra.
Une fois sur place, des collègues masculins m’ont dit : « Mais comment vas-tu faire? Comment pourras-tu prendre un taxi seule ? Ce n’est pas recommandé ! ». J’ai vite réalisé que leurs craintes étaient sans fondement. Je me sens très bien acceptée, y compris par les hommes et les responsables officiels.
Le fait d’être une femme est en fait un atout. Car parmi les évolutions qui traversent le pays celles touchant à la condition féminine sont parmi les plus emblématiques. Comme la société reste très conservatrice, beaucoup de choses concernant les femmes ne peuvent pas être abordées par des journalistes masculins. J’ai par exemple assisté à un concert réservé à une assistance féminine.
Le fait d’être une femme me permet d’établir des relatons très fortes avec celles que je rencontre. Elles se révèlent alors très ouvertes et très franches dans leurs prises de position.
Il est traditionnellement difficile de pénétrer dans l’intimité familiale en Arabie saoudite. Mais là, le fait d’être une femme, étrangère et travaillant pour un grand média international change la donne. Je crois qu’elles me livrent vraiment ce qu’elles ont au fond du cœur. Elles savent que les médias locaux ont beaucoup moins de liberté que nous pour dire les choses telles qu’elles sont.
Quand le pouvoir a annoncé que les femmes seraient bientôt autorisées à conduire, j’ai recueilli des témoignages étonnants de sincérité et de franchise.
La seule vraie barrière reste l’apparition à l’écran. Les femmes saoudiennes me disent quantité de choses, mais elles ont toujours peur de le dire à visage découvert. Pour moi le défi est de les convaincre d’oser le faire, sans qu’elles se mettent en danger.
C’est pourquoi j’étais si fière, pour elle comme pour moi, que Mervat Bukhari, la superviseure de la station-service à Khobar, ait le courage de se laisser filmer.
La véritable surprise est que le fait d’être une vidéaste ne soit pas un handicap dans les relations avec les hommes. Il est très rare de trouver une femme reporter d’images. Apparemment c’est un métier considéré comme masculin.
Quand je tourne un sujet dans la rue, les hommes sont surpris de voir une femme tenant une caméra. Et plutôt que de m'éviter, les plus curieux s’aventurent jusqu’à moi pour se renseigner sur ce que j'y fais. Ils sont toujours courtois. Personne ne m’a jamais mal parlé. Les plus attentionnés me demandent même si mon matériel n’est pas trop lourd à porter…
Pour autant, je ne dirai pas qu’il soit facile de travailler ici pour une femme journaliste. C’est une société conservatrice, traditionnelle. Mais si on la respecte, elle vous respecte.
Ce billet a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.