Demi-Finale de l'Euro féminin 2017, entre l'Autriche (en blanc) et le Danemark, à Breda le 3 août 2017. L'équipe danoise est passée en finale. (AFP / Tobias Schwarz)

Un jeu trop beau pour être gâché

Prague -- Nous étions fin janvier quand on m’a proposé de couvrir l'Euro féminin de football, aux Pays-Bas. C’était tentant.

D’abord parce que l’offre et tombée à un moment où, ma ville natale de Prague étant sous la neige, la perspective d’une compétition au soleil de juillet était attirante. Deuxièmement, j’adore partir en reportage, et enfin j’aime le foot.

J’ai été servi, sur tous les plans. 

La gardienne de but norvégienne Ingrid Hjelmseth face à l'attaquante danoise Nadia Nadim (maillot rouge), dans un match perdu 0-1 par la Norvège, à Deventer, le 24 juillet 2017. (AFP / Daniel Mihailescu)

 

Je connaissais les versions féminines du basket, du handball, du volley, et j’avais beaucoup couvert le tennis féminin, mais le foot féminin était « terra incognita ». Pourtant il existe en République tchèque, mais il passe sous le radar, comme souvent ailleurs. Personnellement, je n’avais été jamais été tenté d’assister à un match.

Les amis auxquels j’ai fait part de mes projets en la matière ont eu des réactions assez mitigées.

En tant qu’ex-pays communiste, on ne peut pas dire que ma patrie glorifie la diversité, qu’elle porte sur les réfugiés, -qui ont fait de leur mieux pour éviter de passer par la République tchèque-, les homosexuels, les Roms ou, en l’occurrence, les footballeuses.     

J’ai eu droit à : « Elles ont l’air bizarres » ; « elles n’ont pas le niveau » ; «elles ne devraient pas se donner la peine de jouer » ; «elles ressemblent à des hommes », une remarque fréquemment associés à : «elles sont toutes homo, non ? ». Trois de mes amis m’ont demandé une photo de l’échange de maillots entre footballeuses après le coup de sifflet final. Autant dire que tout ça ne promettait rien de bon.

"Pas le niveau"? La milieu de terrain allemande Lina Magull, entre les défenseures russes Anna Kozhnikova (à gauche) et Ekaterina Morozova, lors d'un match remporté 2-0 par l'Allemagne, à Utrecht, le 25 juillet 2017. (AFP / Tobias Schwarz)
L'attaquante danoise Nadia Nadim (maillot blanc à gauche) à la lutte avec la défenseure néerlandaise Stephanie van der Gragt, pendant la finale de l'Euro féminin 2017, remporté par l'équipe des Pays-Bas, à Enschede, le 6 août 2017. (AFP / Daniel Mihailescu)

 

 

Ma première surprise est tombée avec les conférences de presse d’avant-match pour l’affiche d’ouverture de la compétition, un Allemagne-Suède, comme la finale  olympique de 2016. Les Allemandes ont fait salle comble. Tout comme leurs adversaires le lendemain.

La deuxième, plus forte, a été la foule orange massée aux portes du stade d’Utrecht pour le Pays-Bas/Norvège. Des enfants, des femmes et des hommes avec des tenues, des chapeaux et des visages peints de la couleur nationale. Une foule aussi bruyante que celle des matchs masculins, avec le risque de hooligans en moins.

Supporters de l'équipe danoise, lors de sa demi-finale de l'Euro remportée contre l'Autriche, à Breda, le 3 août 2017. (AFP / Tobias Schwarz)

Ces fans étaient convaincus : que le football féminin est une discipline qui vaut le coup d’être vue et qui a besoin d’être soutenue, et que les Pays-Bas allaient emporter ce match et le tournoi par la même occasion. Ils avaient raison, sur toute la ligne, comme je m’en rendrai compte rapidement. Au point de devenir un vrai fan.

Pour accroître la visibilité de la compétition, l’UEFA a fait passer le nombre d’équipes de 12 à 16. Excellente idée: les nouveaux venus ont parfois créé la surprise, comme l’Autriche en demi-finale, qui a captivé un téléspectateur sur neuf et drainé d’autres compatriotes dans des bars ou espaces publics pour regarder le match. Même scénario au Danemark et en Angleterre, dont les équipes sont aussi arrivées en demi-finale, et bien sûr aux Pays-Bas.

L'attaquante de l'équipe des Pays-Bas, Shanice van de Sanden, avec le trophée de l'Euro féminin 2017, remporté contre le Danemark, à Enschede, le 6 août. (AFP / Tobias Schwarz)
L'équipe des Pays-Bas est fêtée à Utrecht, le 7 août 2017. (AFP / John Thys)

 

 

Tous leurs matchs se sont joués à guichets fermés, et a fortiori la finale, avec 28.000 néerlandais déchaînés dans le stade d’Enschede. Le jour suivant plus de 10.000 d’entre eux ont fêté l’équipe victorieuse dans le parc d’Utrecht.

Lors d’une séance d’entrainement, une longue file de jeunes fans, attendait ses joueuses aux abords du stade de De Lutte,  avec le maillot floqué du nom de leur joueuse favorite dans l’équipe des Lionnes Orange. Quand elles sont sorties de leur séance d’entrainement ces dernières ont parcouru lentement la queue pour une séance d’autographes et de selfies avec tous ceux qui le souhaitaient. L’atmosphère avait tout d’une grande fête de familles, les querelles en moins.

Le match en revanche n’avait rien de convivial.

« Les femmes ne pleurnichent pas comme les hommes », m’a affirmé un fan à Utrecht. Il avait raison. J’ai vu très peu de chiqué ou de chutes sans raison. Certains matches ont été plutôt rudes. Des joueuses ont fini avec un bandage sur la tête. La gardienne de but suisse Gaelle Thalmann a terminé avec des points de suture. Elles étaient très combatives. Avec la détermination comme mot d’ordre.

La milieu de terrain islandaise Gunnhildur Jonsdottir (à droite) au contact avec la gardienne de but suisse Gaelle Thalmann, au stade De Vijverberg, à Doetinchem, le 22 juillet 2017. (AFP / Daniel Mihailescu)
L'attaquante autrichienne Sarah Zadrazil (à droite) arrivera à mettre par terre son homologue danoise Pernille Harder, au stade Rat Verlegh, à Breda, le 3 août 2017. (AFP / Tobias Schwarz)

 

 

Les premiers matchs n’étaient peut-être pas tous du meilleur niveau, mais une fois passée la phase éliminatoire, c’est devenu tout autre chose. La finale était vraiment de classe mondiale, avec un Pays-Bas/Danemark plein de rebondissements jusqu’au 4-2 du sifflet final.     

L'attaquante danoise d'origine afghane, Nadia Nadim vient de marquer un but contre les Pays-Bas en finale de l'Euro de foot féminin 2017, au stade Twente d'Enschede, le 6 août 2017. (AFP / John Thys)

Au cours de ces 25 jours, j’ai rencontré plein de joueuses formidables.

Comme l’Afghane Nadia Nadim, qui a trouvé une nouvelle patrie au Danemark, après avoir fui la sienne avec sa mère et ses quatre sœurs quand les talibans ont tué son père.

La capitaine de l’équipe allemande, Dzsenifer Marozsan, née en Hongrie, dont l’autorité est aussi grande sur le terrain qu’en dehors.

La courageuse Ecossaise Frankie Brown, qui a un doctorat en immunologie et marie sa passion avec un boulot à temps partiel à l’Université de Bath.

La libéro anglaise Millie Bright, avec sa coiffure compliquée et sa solide poignée de main.

La Suédoise Stina Blackstenius qui, malgrés ses airs de dure à cuire, a fondu en larmes à l’évocation de la défaite de son équipe face à l’Allemagne lors des Jeux de Rio.

La capitaine et attaquante de l'équipe du Danemark, Pernille Harder, lors d'une conférence de presse à la veille d'un match contre l'Autriche, à Breda, le 2 août 2017. (AFP / Tobias Schwarz)

La vaillante capitaine danoise Pernille Harder, qui a gardé un calme olympien lors d’une conférence de presse en répondant patiemment à des questions insistantes et plutôt ridicules d’un journaliste sur sa relation intime avec une défenseuse suédoise participant à la compétition.

La jeune star néerlandaise Vivianne Miedema, passée du Bayern à Arsenal et qui peut parler de foot sans s’arrêter.

L’infatigable milieu de terrain autrichienne Laura Feiersinger, courant des kilomètres pour amener son équipe à une victoire.

Et puis il y avait les entraîneuses.

La Suédoise Pia Sundhage, très pointue sur les finesses du jeu ; l’Ecossaise Anna Signeul, qui s’est avancée vers moi avant une conférence de presse avec la main tendue et une question : «  Bonjour je suis Anna, et vous ? ».

L'entraîneur danois Nils Nielsen et ses joueuses à l'issue de leur finale de l'Euro-2017, perdue face aux Pays-Bas, à Enschede, le 6 août 2017. (AFP / Daniel Mihailescu)

Sans oublier les hommes.

L’Autrichien Dominik Thalhammer, envahi par l’émotion quand son équipe a passé les qualifications; le Gallois Mark Sampson, jeune entraîneur des Anglaises, si fier de les pousser au-delà de leurs limites.

Le Danois Nils Nielsen, ancien guitariste de rock, qui s’est mis en colère dans une conférence de presse quand un ancien international hollandais s’est permis de critiquer son équipe nationale.

Et enfin la « reine » des Pays-Bas Sarina Wiegman, qui a su combiner une défense solide, un milieu de terrain créatif et une attaque mortelle pour devenir la championne des entraîneurs.   

Outre une farouche envie de gagner, toutes ces personnes partageaient une chose en commun : l'envie de promouvoir leur discipline. Ce qui a grandement facilité le travail des journalistes, car elles se sont toujours révélées prêtes à parler, à la différence de la plupart des joueurs que j’ai croisés jusqu’ici.

La reconnaissance et la notoriété apporteront l’argent plus tard. L’UEFA a dit avoir consacré 8 millions d’euros en prix pour ce tournoi, contre 300 millions pour le tournoi masculin en 2016. L’organisation a cité une enquête selon laquelle la moitié des joueuses n’étaient pas payées par leurs clubs, tout comme 35% de celles jouant pour leur équipe nationale.                      

Cristiano Ronaldo, attaquant du Real Madrid, et Lieke Martens, attaquante dans l'équipe nationale des Pays-Bas et dans l'équipe féminine du FC Barcelone, reçoivent leur trophée de meilleurs jouer et joueuse UEFA pour la saison 2016-2017. (AFP / Valery Hache)

 

Malgré cela, et tout en souhaitant que les joueuses obtiennent la reconnaissance et la compensation qu’elles méritent, il y a un certain « charme » à cet amateurisme. La plupart de mes collègues ont décrit l’atmosphère du championnat féminin comme « amicale » et « détendue », à la différence du football masculin.

Pour moi la conclusion est claire, le foot féminin n’a pas encore été gâché par l’argent. A tout prendre, ça ne me dérangerait pas s’il restait comme ça. Le jeu féminin est trop beau pour être gâché.

Entraînement de l'équipe de France féminine avant un match de l'Euro-2017, à Zwijndrecht, Pays-Bas, le 15 juillet 2017. (AFP / Tobias Schwarz)