Nacari, 16, awaits in Huaquillas, Ecuador, border with Peru, after travelling across the country in a bus provided by Ecuadoran authorities as part of a humanitarian corridor for Venezuelans fleeing their country's economic crisis on August 25, 2018. - On foot, by bus, on the backs of juddering trucks, like tens of thousands of others they slogged for days along the Pan-American highway through Colombia and Ecuador. Grubby and sleepless, their goal was to reach Peru, a sanctuary of sorts for a desperate Venezuelan family. Exhausted and swept by the endless wash of traffic noise on the highway's shoulder, the Mendoza Landinez family had the additional pressure of a deadline: to enter Peru before new rules required them to produce a passport. (Photo by Luis ROBAYO / AFP) (AFP / Luis Robayo)

Venezuela, la chute sans fin

Les journalistes reporters d'images de l'Agence France-Presse au Venezuela, sous la direction du responsable TV Jesus Olarte, viennent de remporter le Prix Région Normandie des lycéens, après avoir été parmi les finalistes du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre, catégorie Télévision. Pénuries alimentaires et de médicaments, hyperinflation, criminalité, tortures et exécutions extrajudiciaires: la liste des maux affligeant le pays s'allonge chaque mois. Plus de 3,5 millions Vénézuéliens sont partis. Le travail des journalistes qui restent est aussi de plus en plus complexe et risqué. Témoignage de Yorman Maldonado, journaliste de 28 ans né à Caracas, venu représenter l'équipe pour la 26ème édition du Prix.

 

1er mai 2019, Caracas. (AFP / Federico Parra)

Caracas - La caméra fait partie de ma vie depuis que j’ai 16 ans… j’ai commencé très vite à tourner, dès que j’étais à l’université. Mais en 2013, quand Henrique Capriles disputait le pouvoir à Nicolas Maduro, lors de la campagne pour la présidentielle, j’ai vraiment appris le métier. Je travaillais pour le quotidien historique vénézuélien El Nacional.

J’ignorais la plupart des consignes pour la couverture de grandes manifestations: se déplacer sur les côtés, ne pas se situer dans la ligne de mire des forces de l'ordre, être équipé de gilets pare-balles et de masque à gaz… à l'AFP aujourd'hui toutes ces consignes sont obligatoires.  

En 2017, quand les manifestations ont atteint leur paroxysme, il y avait beaucoup de violence, mais aussi beaucoup de solidarité. Je me souviens d’habitants, à Caracas, nous ouvrant les portes des immeubles pour nous permettre d’échapper aux gaz lacrymogènes. 

Dans ces manifestations, il y avait régulièrement des blessés, y compris parmi les journalistes. Et dans ces cas, on se serre les coudes. 

Le journaliste vénézuélien de VPITV Gregory Jaimes, évacué par ses confrères, lors d'une manifestation le 1er mai , 2019 à Caracas (AFP / Federico Parra)
(AFP / Federico Parra)

Au sein de l’équipe de Caracas au moins cinq d’entre nous avons été touchés, par chance sans être grièvement blessés. Souvent le soir, après les manifestations, tous les photojournalistes des différents médias se retrouvaient autour de la même table, dans le seul restaurant encore ouvert à Caracas, une manière de célébrer que nous étions tous encore entiers. Les reporters ont commencé à être visés par la garde nationale quand elle a compris que leurs images étaient des preuves de la violence visant les manifestants.

Caracas, 17 avril 2014. En deux mois 41 personnes sont mortes et plus de 600 ont été blessées dans les manifestations de l'opposition visant le gouvernement de Nicolas Maduro (AFP / Juan Barreto)
Un manifestant en feu lors d'une manifestation de l'opposition à Nicolas Maduro. Cette photographie a reçu le prix World Prize Photo of the year en 2018. (AFP / Ronaldo Schemidt)

La situation est aussi très compliquée pour les journalistes free-lance, quand ils ne sont pas connus. Les manifestants anti-Maduro se méfient et les traitent d’”infiltrés”... elle l’est aussi pour les journalistes de chaînes de télévision locales, accusées d’être trop proches du pouvoir.  

1er mai 2017, Caracas, AFP/Ronaldo Schemidt
 
Caracas, 18 juillet, 2017. (AFP / Juan Barreto)

Mais depuis 2018 la mobilisation a perdu de sa force: faute de leader, aussi pour cause de répression et en raison de la terrible crise qui touche le pays. Au fil des ans, notre équipe est passée de couvrir ces secousses à témoigner de la misère des Vénézuéliens.

 

Jeune homme de 26 ans atteint de malnutrition et d'une maladie congénitale. Maracaibo, Etat de Zulia. 10 juin 2019. (AFP / Yuri Cortez)

La crise est si aigüe que ceux qui restent doivent choisir: protester ou survivre. Soit tu trouves ton repas du lendemain, soit tu protestes, soit tu trouves de l’eau à boire, soit tu manifestes. Il faut s’organiser chaque jour pour survivre. Ici à Caracas, il y a du courant, mais ailleurs dans le pays les coupures se produisent plusieurs fois par jour. Le Vénézuélien d’opposition est usé.

Le journalisme aussi a souffert. Une soixantaine de journaux ont fermé depuis 2013, et El Nacional, où j’ai travaillé avant d’être embauché à l’Agence France-Presse, a décidé le 13 décembre 2018 d’arrêter ses rotatives pour n’exister que sur internet. Ces fermetures sont la conséquence combinée de la crise, des coupures d’électricité et des pressions du gouvernement qui a la main sur les importations du papier indispensable aux journaux.

Les sources aussi manquent. Souvent les sources officielles ne répondent pas.  Il a fallu attendre dix ans pour avoir des données officielles sur l’économie par exemple: le gouvernement avait cessé d’en donner. Idem concernant la santé. Nous dépendons d’analystes et d’ONG. 

Trouver de l'eau... même dans les égouts. Caracas, 11 mars 2019 (AFP / Juan Barreto)

 

Depuis quelques mois, je suis donc davantage centré sur les conséquences humaines de la crise.  Un des reportages qui m’a le plus marqué, racontait l’histoire de parents mobilisés pour sauver leurs enfants atteints de cancer. Il leur fallait un médicament qui n’est jamais arrivé et les enfants sont morts. Nous avons couvert les funérailles d’un des enfants. Comment interviewer une mère après ça?

Hôpital pédiatrique José-Manuel de los Rios de Caracas, 27 mai 2019. Quatre enfants ont péri en un mois, faute de traitement. (AFP / Marvin Recinos)

Quand on vit dans le pays et que l’on couvre ce drame au quotidien, on a l’obligation de déconnecter. Moi je tente de sortir de Caracas, d’éteindre le téléphone, de ne pas consulter les réseaux sociaux. Sinon la pression t’achève. C’est une histoire très intense.. et puis parfois les difficultés touchent aussi des proches.

La ville de Caracas plongée dans le noir 22 juillet 2019 après une grande coupure d'électricité touchant la capitale et d'autres régions. (Photo by Yuri CORTEZ / AFP) (AFP / Yuri Cortez)

A Caracas, l’équipe est très soudée, c’est comme une famille. D’ailleurs, les envoyés spéciaux - l’AFP a une "armée" de JRI vénézuéliens dans le monde -  veulent rester. Leur regard « frais » sur la situation est précieux. Je me souviens notamment de Paula Vilella, passée par Caracas après dix ans d’absence. Elle a longé le jardin botanique et elle a dit “mais c’est horrible ! il est mort!” Nous n’avions pas vu, car le jardin avait décliné au fil des ans…

C’est vrai, nous sommes un peu drogués à l’adrénaline qui monte quand tu couvres en direct une actualité reprise un peu partout dans le monde. Mais j’aime aussi parler des Vénézuéliens qui restent, qui font des choses, qui travaillent et continuent à parier pour leur pays.

Yorman Maldonado représente à Bayeux toute l’équipe vidéo de l’AFP au Venezuela: outre lui, Jesus Olarte, Leo Ramirez, Carlos Reyes, Natasha Vasquez, Edinson Estupinan et Hirsaid Gomez.

Ce blog a été écrit avec Michaëla Cancela-Kieffer à Paris. Interview pour l'AFPTV réalisée et montée avec Paul Gypteau