Une nuée d'étourneaux à la tombée du jour près de Tidhar, dans le nord du désert du Néguev en Israël, le 14 janvier 2016 (AFP / Menahem Kahana)

Une minute de féerie

JERUSALEM, 25 janvier 2016 – C’est peut-être parce que je prends trop de photos d’enterrements ou de gens en train de se faire tuer et que j’aime faire des choses complètement différentes. C’est peut-être aussi parce qu’enfant, j’aimais observer les oiseaux. Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que je fais ça pour mon plaisir.

J’ai commencé à photographier les étourneaux il y a quelques années. Je connaissais l’existence du phénomène depuis longtemps, mais jusque-là j’avais aussi eu beaucoup d’autres choses à faire. Comme vous pouvez l’imaginer, les photographes et les autres journalistes en Israël sont souvent assez occupés.

Les étourneaux sansonnets sont des oiseaux migrateurs que l’on peut croiser dans tous les coins d’Israël, du Golan au Néguev. Avant de se poser pour la nuit, ils dansent dans le ciel. Et quand la nuée est volumineuse, le ballet devient vraiment spectaculaire.

(AFP / Menahem Kahana)

Dans le sud d’Israël, près de la ville de Rahat, il y a une décharge appelée Dudaim qui reçoit presque toutes les ordures d’Israël. C’est une décharge vraiment gigantesque. Des dizaines de tonnes de déchets sont déversés ici tous les jours, les bulldozers vont et viennent sans relâche pour les entasser et l’odeur est pestilentielle.

Mais c’est aussi un excellent endroit pour trouver des oiseaux en tout genre. Les étourneaux y passent leurs journées, à chercher de la nourriture parmi les ordures.

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Dès que j’en ai la possibilité – c’est-à-dire quand je suis dans le coin pour couvrir une autre histoire et que j’ai un peu de temps devant moi – je vais faire un tour à la décharge, environ une heure avant le coucher du soleil. L’idée, c’est d’être là quand les étourneaux décident d’aller se coucher et de découvrir où ils vont passer la nuit.

A la recherche du repaire des étourneaux

Dès qu’ils s’envolent, je saute dans ma voiture et j’essaye de suivre la nuée. Pour dormir, les étourneaux ont besoin d’arbres. Il n’est pas facile de leur courir après. Les pistes ne sont pas en très bon état en hiver avec toute cette pluie et il faut souvent sortir de la route. Découvrir le repaire des étourneaux me prend du temps, mais au bout de plusieurs tentatives je finis par y arriver.

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Au cours des jours suivants, je me rends donc à cet endroit, au bord d’un oued, une heure avant le crépuscule, et j’attends. Comme les oiseaux ne dorment pas tous les jours au même endroit, je commence par rentrer bredouille. Et puis, un beau jour vers cinq heures et demie du soir, alors que je m’apprête à plier bagage en pensant que les étourneaux ne seront encore pas au rendez-vous, ils arrivent. C’est un nuage. Un énorme nuage. Malheureusement, il fait déjà trop sombre et je n’arrive pas à prendre la moindre photo !

Préparation et hasard

Je ne suis pas découragé pour autant. Le lendemain, je viens me poster au même endroit. Et cette fois, par chance, les oiseaux arrivent une demi-heure plus tôt. Comme je suis positionné face au soleil couchant je peux prendre de très belles images.

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Pour photographier ces nuées d’oiseaux, la préparation ne suffit pas : il faut aussi compter sur le hasard. Il est nécessaire de savoir exactement où le phénomène risque de se produire, mais on ne peut jamais être certain du moment où il se produira, ni même s’il se produira du tout. Et la danse dans le ciel ne dure jamais très longtemps. Le plus long ballet auquel j’ai assisté a duré dix minutes. Et cette année, le spectacle n’a duré qu’une minute. Une minute pour prendre des photos…

Pour le moment, cette année, je n’ai pu photographier les étourneaux qu’à deux reprises. Les couleurs sont complètement différentes: dans une des séries, le rouge prédomine alors que l’autre, prise environ une heure plus tôt, est forcément beaucoup plus claire. L’année dernière, c’était encore complètement chose, des couleurs très sombres, presque violettes.

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Ce n’est pas encore la haute saison pour les étourneaux. Celle-ci se produira en février, quand arriveront tous les oiseaux en provenance d’Europe de l’Est. Il sera alors beaucoup plus facile de les observer. Mais je ne sais pas si j’en aurai l’occasion.

Le site n’est pas très éloigné, il ne me faut qu’une heure et demie de voiture pour m’y rendre depuis Jérusalem, mais en ce moment j’ai beaucoup de travail : la Cisjoranie, les colons, les attaques au couteau dans les rues... Je ne peux tout simplement pas partir dans le désert quand bon me semble pour aller photographier des oiseaux. Je dois calculer mes mouvements, et toujours m’assurer que s’il se passe quelque chose en mon absence, un autre photographe sera en mesure de se rendre sur place pour couvrir l’événement.

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Bien sûr, j’aime tous les aspects de mon travail, couvrir toutes sortes d’histoires. Mais quand je me rends en Cisjordanie, c’est toujours risqué ou tendu, je dois être perpétuellement sur mes gardes. Alors que quand je pars vers le sud pour photographier les oiseaux, il n’y a pas de risques, pas de tensions. Je n’ai pas besoin de regarder par-dessus mon épaule. Je suis au grand air, parfois je viens avec des amis. Peu importe que les oiseaux finissent par venir ou pas. Je profite du paysage. Je me détends.

Menahem Kahana est un photographe de l’AFP basé à Jérusalem. Cet article a été écrit avec Yana Dlugy à Paris et traduit de l’anglais par Roland de Courson (lire la version originale).

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Menahem Kahana