Ballet d’étourneaux dans le ciel du Néguev
RAHAT (Israël), 4 février 2015 – Cela fait un mois que je les cherche.
Chaque année, pendant l’hiver en Europe, un demi-milliard d’oiseaux migrent ici, en Israël. Parmi eux, les étourneaux sont uniques. Ils se déplacent en nuées de dizaines, voire de centaines de milliers d’individus. Si vous avez la chance de tomber sur le bon endroit, vous pouvez assister à leurs extraordinaires chorégraphies au coucher du soleil.
Un « vrai » photographe animalier peut rester camouflé dix jours de suite en pleine nature pour obtenir la photo d’un seul oiseau rare. Bien sûr, à l’AFP, nous n’avons jamais le temps pour ce genre de chose. Mais mon métier de photographe en Israël m’amène à parcourir tout le pays en fonction de l’actualité. A partir de janvier, je garde toujours les yeux grand-ouverts quand je voyage pour repérer les endroits où les étourneaux s’installent, généralement dans les broussailles au fond d’une vallée ou d’un canyon.
Mi-janvier, par exemple, j’ai passé deux jours près de la frontière avec le Liban après un tir de roquettes du Hezbollah contre un convoi militaire israélien qui avait fait deux morts. Tout en couvrant cet événement, j’essayais aussi de repérer des groupes d’oiseaux migrateurs. J’en ai trouvé à deux endroits, sur le plateau du Golan et dans la vallée du Jourdain.
Mais ce n’est qu'à partir des derniers jours de janvier que je tombe sur de vraies, grosses nuées d’étourneaux. Plusieurs jours de suite, je me rends à Rahat, une ville bédouine dans le nord du désert du Néguev, pour couvrir des violences qui ont fait deux morts ainsi que d’autres sujets d’actualité. Chaque après-midi, une fois mon travail « ordinaire » terminé, je pars dans la campagne à la recherche des oiseaux.
L’an dernier, je suis tombé sur des étourneaux en grand nombre sur le site d’une gigantesque décharge à ciel ouvert des environs de Rahat et je décide de retenter ma chance au même endroit. J’arrive vers quatre heures de l’après-midi. Les étourneaux dansent généralement au coucher du soleil, mais pas tous les jours. Le moment auquel ils décident de commencer leur ballet aérien varie en fonction de la météo. Et rien ne garantit qu’ils choisiront de danser précisément sous vos yeux, et non à des kilomètres de là…
Le quatrième et le cinquième jour, quinze minutes avant le coucher du soleil, la chance me sourit : les étourneaux entament une danse spectaculaire juste devant moi. La première fois, le ballet a lieu au-dessus de la décharge. Le lendemain, j’ai droit au même spectacle cinq kilomètres plus loin, près de l’endroit où les oiseaux ont choisi de passer la nuit.
Les nuées d’étourneaux évoluent à une vitesse vertigineuse. Il faut s’assurer d’avoir le bon objectif vissé sur l’appareil photo et être capable de changer très rapidement d’optique si les oiseaux descendent soudainement en piqué près de là où vous vous trouvez.
L’an dernier, j’avais immortalisé quelque chose de vraiment hors du commun : pendant une fraction de seconde, la nuée avait formé un « cœur ». Par un hasard prodigieux, nous étions à deux jours de la Saint-Valentin, ce qui avait valu à ma photo de faire la une des journaux du monde entier ! Bien sûr, un tel coup de chance ne se reproduit pas, mais les formes que prend le nuage d’étourneaux cette année sont quand même assez stupéfiantes : deux boules noires qui tourbillonnent dans le ciel et se rejoignent pour dessiner un soldat, un squelette, un gros poisson, un boomerang…
La danse commence au coucher du soleil. Cela peut poser des problèmes d’éclairage, mais cela donne aussi, souvent, une très belle lumière rouge. Pour une de mes images, j’ai utilisé une exposition longue, peut-être d’une demi-seconde. Les oiseaux en vol forment des lignes troubles qui ressemblent à des étoiles filantes devant la lune.
Tout à coup, en moins d’une seconde, le ballet prend fin. Les oiseaux plongent dans les buissons où ils vont passer la nuit, et qui du coup deviennent noirs.
Le secret du succès, avec les étourneaux, c’est d’être le premier à les trouver. Une fois que vous avez publié une photo des nuées, la magie est finie. Dès le lendemain, des foules de gens se précipitent au même endroit pour regarder les oiseaux danser. Je ne suis pas le seul à être fan !
Menahem Kahana est un photojournaliste de l’AFP basé à Jérusalem.