Un réveil brutal
Grosbois, France -- C’est la façon de les emmener en salle de chirurgie et leur réveil brutal après l’opération, qui m’avait frappé dans ce reportage à la télévision. Et au-delà, cet endroit apparemment unique où on les opère. Ce qui explique que j’ai fini par passer six jours à la clinique vétérinaire de Grosbois.
Je n’ai aucun intérêt personnel pour la chose hippique. L’animal est beau, mais je ne suis pas très à l’aise quand je me trouve à côté. Et je n’ai pas plus envie de monter dessus.
Mais dans le reportage, on expliquait que dans les opérations sur des chevaux le moment critique et le plus dangereux est le réveil. Il est toujours soudain, et risqué, pour l’animal comme pour ceux qui le soignent. Ça m’intriguait. C’est exactement ce que j’ai constaté à Grosbois.
L’établissement fait partie d’un vaste domaine de plus de 400 hectares, près d’Orly. Autour du château de style Louis XIII, devenu musée du trot, tout est organisé pour accueillir jusqu’à 1.500 chevaux : écuries et habitations pour recevoir chevaux, cavaliers et propriétaires, une forge et son maréchal-ferrant, une sellerie, trois pistes d’entraînement et une clinique vétérinaire.
Beaucoup de trotteurs y prennent leurs quartiers, pour participer aux meetings d’hiver de Vincennes. Grosbois, c’est le centre du trot en France.
La clinique accueille des trotteurs de course, mais aussi des chevaux de selle ou de saut d’obstacles, propriété d’écuries ou de simples particuliers.
La première opération à laquelle j’ai assisté était une pose de vis au genou. L’opération s’est bien passée, mais le réveil un peu moins. Le cheval était intubé. Ils ont réduit son débit d’oxygène. Le chirurgien lui a filé une bourrade, pour stimuler la respiration autonome. Jusque-là tout allait bien.
Toujours endormi, on l’a transporté avec un palan, les quatre fers en l’air, dans le box de réveil attenant. Un endroit entièrement capitonné, pour éviter que l’animal se blesse.
Attaché à la tête et à la queue, il faut maintenant l’accompagner dans son réveil pour éviter qu’il ne retombe et se blesse à nouveau.
Alors que le cheval commençait à se relever, le lien arrière a lâché. Pour ne prendre aucun risque le cheval a été sédaté en urgence, et s’est calmé.
J’en ai profité pour entrer dans le box faire quelques images. Le rappel à l’ordre a été immédiat : « Sortez tout de suite ! Danger de mort ! ». Ça peut paraître excessif, mais c’est une réalité.
Quelques instants plus tard, sans prévenir et littéralement en un clin d’œil, le cheval était debout. Désorienté. Et à 600 ou 700 kilos, s’il panique, il vaut mieux pouvoir prendre du champ.
Pour les chirurgies debout, où l’animal sous sédatif subit une intervention sans anesthésie générale, il est maintenu entre des barres de métal. Mais au cas où, les portes des boxes de réveil attenantes restent ouvertes pour le personnel, comme échappatoire, si ça se passe mal quand il reprend ses esprits. C’est déjà arrivé. Avec un cheval terrorisé au réveil, qui a tout cassé, et du personnel soignant blotti par terre, dans les coins, m’a raconté le radiologue.
L’atmosphère n’en reste pas moins très paisible. Même quand les chevaux sont sur les nerfs. Le personnel a une façon de les manipuler extraordinairement douce. Chacun a la sienne propre, son petit truc.
Comme ce vétérinaire, qui pour examiner le membre postérieur, passe sa main sur le cheval depuis la tête. Arrivé au jarret, son patient lève de lui-même la jambe.
Une fois, le radiologue a rentré un magnifique pur-sang à la robe noire. Un cheval de course, très jeune et explosif au départ. Comme j’étais à ses côtés, et qu’il était seul, il m’a demandé de le tenir. Je lui ai répondu que j’étais peut-être trop nerveux pour ça. « Oui, il le sent », m’a dit le radio.
C’est le genre d’animal qui frémit quand on lui effleure le poil, et qui dresse l’oreille si une porte claque à l’autre bout de la clinique. Alors quelqu’un qui n’est pas très à l’aise en sa présence…
La clinique n’a rien à envier ou presque à celle qui traiterait des humains. Salle d’attente incluse, avec journaux et machine à café. Pour les propriétaires qui peuvent assister à la radio de leur cheval derrière une baie vitrée.
Tout est à dimension équine. Le cheval suit un vrai parcours de soins : examen, échographie, radio, bloc opératoire, réveil. Au bloc, c’est réglé comme un hôpital, avec anesthésiste, infirmières, assistants, et le chirurgien qui entre en scène une fois que tout est en place. La convalescence est rapide, sur place. Typiquement, le cheval arrive le lundi, est opéré le mardi, et sort le mercredi.
Il y a deux blocs opératoires, l’un pour les tissus mous, avec des chirurgies digestives, respiratoires, ou cutanées, et l’autre pour les affections articulaires et osseuses.
On trouve même un tapis roulant pour effectuer des examens sur le cheval pendant l’effort. Jusqu’au galop. Et au besoin des examens en extérieur, quand l’animal galope au bout d’une longe, avec un endoscope qui observe son larynx et l’image qui est suivie en bord de carrière par un vétérinaire.
C’est un endroit de référence, qui draine toutes sortes de chevaux, et de propriétaires. Des amoureux de leurs montures, ou de l’animal que d’autres montent pour leur compte.
Comme cette dame assez âgée, 70 ans peut-être. Qui venait de Metz, pas exactement la porte à côté. Arrivée avec deux chevaux d’obstacles, un noir et un gris accompagnés de leur cavalier, qui a dressé les symptômes auprès du vétérinaire. Le gris avait l’air fatigué, et le noir, superbe, était très agité. La propriétaire, qui m’a surpris à photographier son cheval, s’est retournée vers moi, « il est beau, hein ? ». « Non, il est magnifique », lui-ai-je répondu.
On m’avait prévenu qu’ici, si j’avais des difficultés à faire des photos, ce serait plutôt à cause des propriétaires, dont certains aiment la discrétion, qu’avec leurs chevaux. Mais comme elle était très aimable, je lui ai demandé pourquoi elle avait fait tout ce chemin. On trouve bien de bons vétérinaires à Metz, non? Elle m’a répondu qu’elle venait ici depuis 25 ans. « C’est une question de confiance, et la confiance vaut le déplacement ».
J’étais planté devant le château, qui fait un fond incroyable pour la photo d’un trotteur qui passerait devant. J’en avais vu beaucoup, mais bien entendu, là il n’y en avait pas. Et puis l’un est passé. J’ai déclenché. Le propriétaire a fait demi-tour, je me suis dit : « flûte, il va râler parce que je l’ai dérangé ». Pas du tout. Il voulait une photo avec son attelage. D’accord, lui-ai-je répondu, mais dans ce cas, vous repassez juste devant le château… Son cheval valait bien ça.
Ce billet de blog a été écrit avec Pierre Célérier à Paris.