Manifestation de soutien aux autorités pro-russes de Crimée, le 9 mars 2014 à Saint-Petersbourg (AFP / Olga Maltseva)

Un mauvais rêve de Guerre froide

MOSCOU, 11 mars 2014 - Dans l’après–midi du 21 novembre 2013, un communiqué verbeux a fait son apparition sur le site web du gouvernement ukrainien. L’Ukraine, disait-on, renonçait à signer un accord d’association avec l’Union européenne.

Après une série d’événements qui auraient illustré à merveille la théorie du chaos, l’Ukraine a maintenant atteint des sommets, dans le même registre. Chaque nouveau jalon dans ce processus semble un peu plus fou que le précédent, et ce qui était l’objet de plaisanteries, il y a un mois, devient aujourd’hui réalité.

Je n’aurais jamais pu prévoir que le gouvernement ukrainien ferait usage d’une telle violence contre les manifestants, au début des protestations, quand les tentes des étudiants étaient démolies. Jamais n’aurais-je pu prévoir que le centre de Kiev, un des villes les plus tranquilles de l’ex-URSS, se transformerait soudain en zone de guerre urbaine, sur fond de barricades et de pneus en flammes.

Affrontements sur la place Maïdan de Kiev, le 20 février 2014 (AFP / Louisa Gouliamaki)

Jamais n’aurais-je pu imaginer qu’en février, cent personnes seraient tuées en quelques jours, dans un pays où la Révolution orange avait suivi son cours, selon l’expression consacrée, sans qu’une seule vitre soit brisée. Et qui aurait imaginé que le régime de Ianoukovitch tomberait comme château de cartes ?

Et pas plus moi que l’ensemble des journalistes n’auraient pu imaginer que le décret filandreux du 21 novembre aboutirait à l’annexion de la péninsule de Crimée.

Il n’est pas question ici de dire qui a tort et qui a raison, dans un enchaînement qui va plus vite que l’éclair, avec un référendum sur un rattachement de la Crimée à la Russie maintenant fixé au 16 mars. Ce qui est sûr, c’est que ce processus aura une série de conséquences, des conséquences encore inimaginables à la fin de l’an dernier, pour qui suivait, à Moscou, l’actualité de la région.

Soldats russes à Perevalnoye, en Crimée, le 5 mars 2014 (AFP / Alexey Kravtsov)

Conséquences, incertitudes sur l’avenir, menaces, toutes choses qui font perdre le sommeil, à moi et à tous ceux qui croient en l’importance du maintien d’une relation harmonieuse entre l’Ouest et la Russie, politiquement, et même à titre personnel.

La Russie va intégrer la Crimée dans son giron, et elle ne la laissera pas filer. Combien de fois, depuis la Deuxième guerre mondiale, avons-nous assisté à une telle modification de la carte politique de l’Europe ?

Il n’y aura peut-être pas de guerre, mais un refroidissement sensible des relations entre l’Ouest et la Russie va s’installer, qui reléguera au second plan des crises antérieures, telles que l’épisode de la guerre en Géorgie, en 2008.

Manifestation pro-russe sur la place Lénine de Simferopol, en Crimée, le 9 mars 2014 (AFP / Filippo Monteforte)

Il semble impossible que cette crise ne soit pas ponctuée, et cette fois plus que dans les crises antérieures, par l’habituel échange de sanctions, de restrictions de visas, et de rhétorique aigre. Et puisqu’il est entendu que la Russie ne s’empare pas de la Crimée pour la rendre dans quelques années, il est à parier que cette crise nous survivra.

Je suis en poste en Russie depuis cinq ans. Ce pays peut être dur à vivre - les hivers rigoureux, la brutalité des comportements - mais fascinant par d’autres aspects : la culture, les paysages, l’héritage historique.

Je suis originaire de Grande-Bretagne, un pays avec lequel la Russie a parfois des relations difficiles. Mais depuis cinq ans, exception faite de rares moments qui ne doivent pas assombrir le tableau, je me sens ici en sécurité, avec des gens hospitaliers et qui manifestent à mon égard une curiosité authentique.

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Une nouvelle Guerre froide pourrait démarrer, c’est une éventualité bien réelle compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Mais mon espoir est le suivant : que les Russes et les étrangers ne se considèrent pas comme des ennemis.

On oublie souvent que la Russie est une nation diverse et mélangée, et je rappelle volontiers que ce pays compte autant de musulmans que l’Arabie saoudite. Il m’arrive de rencontrer au fin fond de la Sibérie des gens qui se sentent plus chez eux à Londres qu’en Russie et qui parlent l’anglais presque sans accent. Et d’en rencontrer d’autres qui n’ont jamais mis les pieds hors de chez eux, pas même à Moscou.

Devant la mosquée centrale de Moscou le 15 octobre 2013, pendant la fête de l'Aïd al-Adha (AFP / Kirill Kudryavtsev)

Mais j’ai toujours pensé que la Russie et l’Ouest n’ont pas de différences culturelles telles qu’il leur serait impossible de se comprendre, au-delà des différends politiques et des difficultés linguistiques.

L’importance de l’Ukraine a été largement sous-estimée par les médias ces dernières années, et il est peut-être inévitable que la Russie et l’Ouest s’engagent maintenant dans une Guerre froide, à propos d’un pays dont la dimension est maintenant reconnue, en dehors du strict cercle diplomatique. Et il y a maintenant le risque énorme que ce refroidissement majeur fasse du tort aux populations, des deux côtés, et perpétue les malentendus.

Quand je suis venu pour la première fois en Russie, j’avais 15 ans. J’étais dans une famille, pour un échange scolaire, et ces gens-là m’avaient ému aux larmes, par leur gentillesse. Depuis, je n’ai cessé d’aimer la Russie.

S’il y a une Guerre froide, j’espère qu’elle impliquera les gouvernements, et pas les peuples. C’est l’avenir qui le dira, mais je ne suis pas optimiste.

La tour Spasskaya du Kremlin, sur la place Rouge de Moscou, en mars 2012 (AFP / Sergei Supinsky)

Stuart Williams est l'adjoint du directeur du bureau de l'AFP à Moscou.

Stuart Williams