Quinze femmes puissantes
PARIS, 12 mars 2014 – Réaliser un bon portrait d’homme politique, c’est saisir le moment souvent très bref où le sujet relâche le contrôle de son apparence et, par un éclair dans les yeux, un éclat de rire ou encore une main passée dans ses cheveux, lève un coin de voile sur son authenticité humaine. On parvient ainsi à éviter l'image aseptisée et souvent désuète que tentent d'imposer les « experts en communication ». Dans le cas d’une femme politique, il faut prendre en compte un paramètre supplémentaire : très souvent, elle redoute d’être réduite à son image physique. Surtout si elle est jolie.
En novembre 2013, je me suis rendu à Longjumeau pour faire le portrait de Sandrine Gelot-Rateau. Elle venait de succéder, à la mairie de cette ville de la banlieue de Paris, à l’ancienne ministre de droite Nathalie Kosciusko-Morizet (alias NKM) partie faire campagne dans la capitale. J’ai pris plusieurs images posées sur fond neutre. Cela m’a donné l’idée de renouveler cet exercice, avant les élections municipales des 23 et 30 mars, avec plusieurs autres femmes politiques françaises en vue. Je voulais une série posée, en noir et blanc, avec une unité de fond. C’est quelque chose qu’on ne fait presque jamais à l’AFP, où la photo de « news » reste au cœur du métier.
La candidate UMP aux élections municipales dans le 7e arrondissement de Paris et ancienne ministre Rachida Dati
(AFP / Joël Saget)
Quinze des personnes contactées ont accepté ma proposition. Certaines séances, comme celles avec NKM et Ségolène Royal, ont eu lieu au siège de l’AFP. D’autres se sont déroulées dans les mairies, les sièges de partis politiques ou encore dans les couloirs du Sénat. Elles duraient entre trente et quarante minutes en moyenne. J’apportais le fond et l’éclairage, mais il n’y avait pas de séance de maquillage ni de coiffeur préalable.
Ma collègue de la rédaction en chef photo de l’AFP Sophie Drimal, qui s’est chargée de tous les contacts avec les attachés de presse, s’occupait de rassurer les sujets avant et après la séance. Il s’agissait de décontracter les gens, de les faire entrer dans le jeu. « Alors maintenant, montrez-nous quels sont vos gestes quand vous faites un discours », leur demandions-nous par exemple.
Bien sûr, certaines femmes étaient beaucoup plus à l’aise que d’autres. La ministre du Droit des femmes et porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem a été parfaite. Elle nous a laissé nous installer dans son bureau pendant qu’elle travaillait et elle s’est prêtée à l’exercice avec un naturel formidable.
L’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et championne de karaté Chantal Jouanno a eu envie de jouer et s’est laissé photographier en position de combat. Rama Yade s’est elle aussi montrée légère, vivante et souriante pendant la séance. Marine Le Pen, Rachida Dati, Valérie Pécresse ou encore Anne Hidalgo ont joué le jeu de façon sympa, avec simplicité. Mais on a eu beaucoup plus de mal avec Ségolène Royal, qui n’a jamais lâché une miette du contrôle de son image. Quant à notre « cliente » la plus hermétique, c’est sans conteste Elisabeth Guigou.
Avec Pauline Delpech, candidate écologiste dans le 17e arrondissement de Paris, on a eu droit à un autre type d’image, entre l’actrice, la romancière, la femme et la politicienne…
Des portraits, des femmes, la politique : ce sont les trois ingrédients de cette série de photos, et chacune des personnes qui a accepté de poser les a utilisés à sa façon.
Se retrouver devant mon objectif les a obligées à composer avec plusieurs impératifs parfois contradictoires. Certaines s’imaginaient que je venais prendre un genre de photo d’identité et ont eu du mal à accepter ce que je voulais vraiment faire. Tous les politiques cherchent à contrôler leur image, mais le critère physique entre beaucoup plus en ligne de compte chez une femme que chez un homme: la plupart des femmes que j’ai photographiées pour cette série condamnent avec vigueur les canons de la beauté « photoshopée » des magazines de mode, mais en même temps on sent qu’elles n’y sont pas complètement insensibles. Et puis, sous l’ère Hollande, chacune veut avoir l’air la plus « normale » possible, mais dans le même temps elles ont souvent peur de se lâcher…
Au final, je ne ressens qu’une seule frustration : ne pas avoir pu photographier la « reine » de toutes les femmes politiques françaises, Simone Veil. A 86 ans, hélas, elle a refusé.
La candidate du Front de gauche aux municipales à Sevran Clémentine Autain
(AFP / Joël Saget)
La présidente de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et ancienne ministre Elisabeth Guigou
(AFP / Joël Saget)