Un thé dans le désert
DARIYA (Arabie saoudite), 11 mars 2015 – Sillonner le monde à longueur d’année en compagnie de John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, peut sembler très glamour. En fait, le travail consiste le plus souvent à passer de chambre d’hôtel impersonnelle en centre de conférences impersonnel tout en espérant glaner des miettes d’information sur des négociations à huis-clos.
Alors, quand les Saoudiens offrent à quelques journalistes voyageant avec Kerry la possibilité d’aller voir le nouveau roi Salmane Ben Abdel Aziz dans la ville historique de Dariya, je saute sur l’occasion. Je me porte volontaire pour être « de pool », c’est-à-dire pour faire partie du petit groupe (également composé d’un photographe et d’un reporter vidéo) qui fournira au reste des collègues accrédités des informations et des images de cette brève étape chez le monarque. Une rare occasion de sortir du quartier général des journalistes pendant ce voyage officiel, à savoir le fastueux Ritz-Carlton de Riyad avec ses sols en marbre, ses chandeliers en or et son hall décoré de sculptures de poneys grandeur nature.
Dariya est située dans la Wadi Hanifa, une vallée à l’ouest de Riyad. L’origine de la ville remonte au XVème siècle. Il s’agit du foyer de la famille al-Saoud, du centre de diffusion de la doctrine rigoriste wahhabite dans la religion musulmane et de l’ancienne capitale du royaume. En 2010, un de ses quartiers, le district de la citadelle d’at-Turaif, a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Le défunt roi Abdallah possédait une maison ici. Avec Kerry et son équipe, nous nous dirigeons vers la ferme de son successeur et demi-frère Salmane.
John Kerry et son homologue saoudien, le prince Saoud Al-Fayçal, avant une rencontre avec le roi Salmane à Dariya le 5 mars 2015
(AFP / Evan Vucci - pool)
Aucun d’entre nous ne s’attendait au spectacle que constitue cet extraordinaire oasis, que le convoi de Kerry atteint après trente minutes de route depuis la base aérienne de Riyadh, où le chef de la diplomatie américaine s’est entretenu avec ses homologues des pays du Golfe. Le désert, la plaine aride des faubourgs de Riyad où les projets immobiliers poussent comme des champignons laisse brusquement la place à une vallée verdoyante, dominée par des remparts en terre cuite en partie en ruines, en partie restaurés. Dans le minibus des journalistes, les habituelles conversations s’éteignent. Chacun regarde le paysage, émerveillé. Pas étonnant que les autorités saoudiennes aient entrepris de réparer l’endroit pour attirer les touristes.
Sans foulard
Le convoi franchit une imposante porte gardée par un véhicule blindé et commence à gravir une route escarpée qui surplombe la vallée. Nous nous arrêtons devant un bâtiment en terre plutôt bas et de construction simple : la maison du roi.
Les gardes sécurité qui nous accueillent semblent anxieux. Ils n’ont visiblement pas l’habitude de laisser entrer en ces lieux des visiteurs étrangers, dont des femmes. Pour respecter les coutumes locales, nous avons toutes pris soin de nous habiller de la façon la plus conservatrice possible, sans toutefois porter le foulard: à l'instar de Michelle Obama qui était apparue tête nue lors de sa visite dans le royaume en janvier, les Américaines accompagnant les délégations officielles ne se couvrent pas la tête -ce qui est toléré par les Saoudiens- sauf lorsqu'elles visitent une mosquée.
Nous entrons. Nous aboutissons dans une vaste cour intérieure décorée de magnifiques tapis rouges et meublée de divans aux coussins ornés de motifs en forme de palmiers. Elle est bordée d’une galerie couverte. Une douce odeur d’encens imprègne l’atmosphère – un traditionnel geste de bienvenue l’égard des hôtes de marque. Un feu de bois est allumé dans un coin, à côté d’une imposante pile de bois. Des serviteurs en grandes robes blanches et ceintures noires dans lesquelles sont glissées des poignards de cérémonie incurvés préparent le thé ou le café. Des oiseaux chantent et volent au-dessus de cette petite place.
Simplicité à couper le souffle
Nous passons dans une cour voisine, entièrement couverte celle-ci. Un groupe de Saoudiens en robe et ghutrah traditionnelles nous observent sans cacher leur curiosité. Nous tentons quelques sourires pour détendre l’atmosphère.
Les murs couleur terre sont décorés de motifs blancs, de plats en osier tressés, d’anciens fusils arabes à crosse de bois, de lampes et de poignards traditionnels. Tout ceci est d’une simplicité, d’une beauté à couper le souffle.
Une file de serviteurs portant de cafetières dorées à long bec passent devant nous. La réunion officielle peut commencer. On nous laisse entrer quelques instants dans la pièce où le roi Salmane et John Kerry sont déjà engagés dans une conversation animée par interprètes interposés. Notre présence n’est tolérée que durant quelques secondes, le temps strictement nécessaires à mes collègues pour prendre des images, après quoi nous sommes renvoyés à la tranquillité de la cour.
Pendant que nous attendons que l’entretien prenne fin, les serviteurs nous apportent sur des plateaux des bols de noix, des feuilles de menthe et des verres de thé qu’ils s’empressent de remplir à nouveau à chaque fois qu’ils sont vides.
Emerveillée par toute cette splendeur ascétique, je ne réalise que plus tard que tout au long de cette visite, les seules femmes que j’ai aperçues sont celles qui faisaient partie de la délégation de Kerry. Dans le royaume ultraconservateur, les Saoudiennes ne peuvent se mêler aux hommes que sous la surveillance d’un chaperon, généralement un proche parent.
Je ne peux que souhaiter que les femmes que je n’ai pas vues aient pu nous épier de loin à travers une fenêtre, et qu’un jour je pourrai bavarder avec elles sur ce fameux jour où Kerry est venu prendre le thé.
Jo Biddle est une journaliste de l’AFP accréditée auprès du Département d’Etat américain.