Alexandre Ricard devant le bar de son appartement à Paris, le 7 février 2015 (AFP / Joël Saget)

Un apéro chez Alexandre Ricard

PARIS, 10 février 2015 - Prendre l'apéro avec Alexandre Ricard, c'est comme faire du shopping avec Karl Lagerfeld ou jouer au foot avec Zlatan. On n'aurait jamais pensé que cela soit possible.

Alexandre Ricard est le petit-fils de Paul, le créateur du pastis Ricard. Le 11 février, à 42 ans seulement, il va prendre la tête du groupe Pernod Ricard et devenir au passage le patron le plus jeune de l’indice CAC 40. Depuis plusieurs semaines je travaille à l'écriture du portrait de ce quasi-inconnu qui va piloter le numéro deux mondial des spiritueux.

Un matin de janvier, j'ai rendez-vous avec le directeur de la communication du groupe, Olivier Cavil. Il veut me parler d'Alexandre Ricard, me donner une liste de personnes qui pourraient me dire du bien de lui. Ses sœurs, ses amis, ses anciens collègues et même… sa maman ! En bon communicant, il veut maîtriser l'histoire.

Quelques uns des alcools du groupe Pernod-Ricard (AFP / Mychèle Daniau)

Au détour de la discussion, il m'explique qu'Alexandre Ricard vient de faire construire un bar sur mesure dans son appartement. Depuis le départ je cherchais l'angle, le voici: la passion absolue pour l'entreprise familiale, qui s’immisce jusque dans son salon. Je tente le coup: « dites-moi Olivier, ce portrait il faudra bien l'illustrer. Et l'avoir dans son bar chez lui, ce serait vraiment la meilleure façon de montrer qui il est vraiment… »

« Connaissant Alexandre, il proposera un apéro sur le pouce »

Quelques jours plus tard, le directeur de la communication me rappelle: « Alexandre est d'accord, mais ça ne pourra se faire qu'un samedi soir » compte tenu de son agenda surchargé. Et il ajoute: « Connaissant Alexandre, il proposera un apéro sur le pouce… C’est quand même samedi ! ».

Rendez-vous est donc pris dans le 16ème arrondissement de Paris, à 19 heures un samedi pour une séance de photos exclusive.

Sur la sonnette, un discret « A.R. » Sur fond de match de rugby France-Ecosse, le futur PDG nous accueille. Olivier Cavil est là, personne d'autre. Nous sommes trois, Joël Saget, photographe de l'AFP basé à Paris, Sophie Drimal de la rédaction en chef photo et moi. « Généralement, les patrons du CAC 40 ont une garde rapprochée autour d'eux. Il est impossible de les approcher, encore moins dans leur intimité », raconte Joël Saget.

(AFP / Joël Saget)

Joël a l'habitude des portraits. L'an dernier, il a photographié quinze femmes politiques et il termine une autre série sur les ténors du barreau. Cheveux longs, jeans, il tutoie d'entrée de jeu « Alexandre » qui ne sourcille pas. Moi qui couvre le groupe au quotidien, ses victoires et ses déboires, je ne peux me permettre une telle proximité. Comment trouver la bonne distance, un samedi soir, dans son salon ?

Un bar fait sur mesure pour un Ricard

En fait, les choses se font naturellement. Très fier de nous montrer son bar, Alexandre Ricard détaille. Comptoir en étain, dessiné par Gaëtan Lebegue, constellé d'étoiles de badiane, un clin d'œil à l'anisette. Entre les étoiles, cette devise « faites-vous un ami par jour ». « Nous avons isolé l'écriture de mon grand-père dans des lettres que j'ai retrouvées pour graver sa devise dans son écriture ». Le socle en marbre noir accueille en son cœur le logo Ricard, « le soleil méditerranéen ». « Il a un diamètre de 40 centimètres… et la plupart des spiritueux cotent à 40 degrés », poursuit le patron. Les lampes rappellent les alambics et le chêne au sol les futs de maturation. Enfin, la pierre sur le plan de travail est un granit du Zimbabwe : « l'Afrique, notre dernière frontière » (Pernod Ricard s'est lancé depuis peu à l'assaut de ce continent en plein essor). Ce bar ce n'est pas le Modulor du Corbusier, mais dans l'esprit, c'est une pièce faite sur mesure pour un Ricard.

Sur les étagères, le pastis Ricard trône en bonne place mais il pèse peu à côté des dizaines de bouteilles d'Absolut, de Chivas, de Jameson ou de Havana Club de toutes les gammes et de tous les âges. Autant de marques qui appartiennent à la très française famille Ricard.

(AFP / Joël Saget)

Joël termine de régler les lumières,  monte le studio. La séance photo peut commencer. On savait, par son directeur de la communication, qu’Alexandre Ricard n'était pas à l'aise avec l'exercice. Inconnu du grand public, réservé, « il fallait réussir à le mettre en confiance pour qu'il soit lui-même », explique le photographe.

L'apéro. Rien de mieux que l'apéro.

« Un cocktail bien franchouillard »

Le futur PDG le propose de lui-même. Il avait d'ailleurs déjà préparé quelques olives et du saucisson. Vodka, scotch, un Ricard pour lui bien entendu (est-ce pour entretenir l'image? Ou le mythe?) C'est lui qui fait le service. Sophie Drimal lorgne la « Suze saveurs d'autrefois ». Alors il propose « un cocktail bien franchouillard ». « Une dose de Lillet, une dose de Suze et une autre de Gin. Puis quelques zestes d'orange ».

La séance photo peut commencer. Il pose, au comptoir, et dans le studio improvisé. Pas de plan large de sa maison. Juste essayer de trouver le cliché qui lui ressemble le plus. « Le mec tel qu'il est chez lui, il n'y a pas de fioriture. Il est vrai, ne sur-joue pas, ne cache pas son côté réservé », commente Joël Saget. « Généralement, quand tu croises des patrons, il y a toujours un rapport de puissance, de pouvoir qui est dans l'air. Avec lui, tu ne sens pas ça. C'est peut-être l'âge, une manière différente de communiquer. Il va peut-être changer mais là, il est frais, il est comme ça ».

L'île des Embiez, propriété de la famille Ricard, ici en 2003 (AFP / Boris Horvat)

Moi, je discute un peu avec lui. Il me montre sa bibliothèque, ses bouteilles d'exception. Me parle de ses cigares. De ses footings matinaux, du choix de cette adresse, à quelques centaines de mètres seulement du siège de Pernod Ricard, place des Etats-Unis. Je sais que je ne peux pas parler du business, de l'actualité du groupe. On est, en jargon financier, en « quiet period » car Pernod Ricard va publier ses résultats financiers semestriels la semaine suivante. Les dirigeants de l'entreprise sont tenus à la réserve vis-à-vis des analystes, comme des journalistes, afin de ne pas risquer de divulguer une information privilégiée.

Il me dit qu'il se sent Méditerranéen, évoque les étés sur l'île familiale des Embiez, au large de Six-Fours, dans le Var. Evidemment, il tente de maîtriser son image. Il dit que Steve Jobs est un modèle pour le côté innovant d'Apple mais que son vrai mentor, c'est son grand-père. Il parle de César Giron, fils de Danièle Ricard, petit-fils de Paul et PDG de la filiale Pernod, dont certains ont laissé entendre qu’il aurait pu lui aussi prendre les manettes du groupe… Alexandre Ricard élude pudiquement la question. « César, c’est plus qu’un cousin pour moi », dit-il.

Mais au final, Joël, comme Sophie et moi le trouvons « naturel, authentique ». Le bar y est sans doute pour beaucoup. « Le principe même de la convivialité, l'amitié au comptoir, on se dit des choses vraies », dit notre hôte.

Sandra Laffont est journaliste au service économique de l’AFP à Paris.

Contrôle de qualité à l'usine Pernod-Ricard de Vendeville, en janvier 2013 (AFP / Philippe Huguen)