Un cocktail molotov atterrit sur les rangs de la Garde nationale à Caracas, le 28 février 2014 (AFP / Juan Barreto)

« Tu ne sais jamais comment tu vas revenir »

CARACAS, 18 mars 2014 – Tu te réveilles et tu te connectes avec tes collègues via Twitter ou via Zello, une application qui permet de transformer un téléphone portable en walkie-talkie. La première chose à faire, c’est trouver où sont les manifestations.

Tu respires un grand coup. Depuis le début des protestations, il y a un mois, tu sais où tu pars. Mais tu ne sais jamais comment tu vas revenir. Tu trimbales en permanence ton équipement, tes appareils, ton gilet pare-balles, ton masque à gaz, en traversant ou en évitant les barricades.

Des employées du secteur de la santé publique se mesurent à la police le 10 mars 2014 à Caracas (AFP / Juan Barreto)

Tu arrives et tu appuies sur le déclencheur, encore et encore. Tu prends tes précautions. Dès que tu arrives sur place, il te faut repérer le chemin le plus rapide pour battre en retraite si la situation l’exige. Tu n’es pas à la guerre, tu es en train de couvrir une des manifestations qui se suivent et se ressemblent dans les quartiers résidentiels de l’est de Caracas.

Un manifestant lance un cocktail molotov à Caracas, le 3 mars 2014 (AFP / Leo Ramirez)

Tu te rassembles avec les autres photojournalistes. Tels des fourmis, nous nous regroupons sur les côtés du lieu de l’action. Nous nous protégeons mutuellement, nous veillons les uns sur les autres. Il n’y a pas de concurrents ici. Il faut juste avoir à l’esprit que même si nous voyons tous les mêmes choses, nous les dessinons différemment.

Des manifestants lancent des pierres à l'aide d'une catapulte à Caracas, le 2 mars 2014 (AFP / Leo Ramirez)

De temps en temps, tu sautes dans la mêlée et tu prends des photos. C’est une question de secondes. Tu es un jongleur. Tu as devant toi une multitude de boules qui volent dans les airs. Tu es conscient que ton travail et même plus, ta vie, dépendent de cet équilibre, de ton intuition et de tes réflexes.

Tu n’es pas partie prenante aux combats. Tu es là pour les raconter. Tu te mets à l’abri derrière les arbres. Tu dois savoir à quel moment entrer sur scène, mais aussi à quel moment la quitter. Si tu te prends un coup, tu es out. Et si tu es out, tu es fini, brisé.

Affrontements à Caracas, le 12 mars 2014 (AFP / Leo Ramirez)

Tu marches, tu bouges et tu travailles en permanence avec un gilet pare-balles, un masque à gaz et un casque léger, comme ceux qu’on utilise pour faire du skateboard, pour se protéger des pierres et des gaz lacrymogènes. Toute la journée durant, tu transpires, tes fosses nasales sont irritées. Souvent, tu sens l’impact des grenades lacrymogènes contre ton casque. Parfois, tu renifles l’odeur du gaz même à l’intérieur de ton masque, et tu te demandes si tu n’es pas en train de devenir fou.

La police lance des gaz lacrymogènes pendant des troubles à Caracas, le 12 mars 2014 (AFP / Juan Barreto)

J’ai pris la photo ci-dessous le 12 mars. Environ 3.000 jeunes s’étaient mobilisés à Caracas pour maintenir la pression, dans la rue, sur le gouvernement du président Nicolas Maduro. Les affrontements ont commencé vers midi, quand la manifestation s’est heurtée à quelque 300 policiers anti-émeutes qui leur ont barré le chemin vers la Plaza Venezuela, dans le centre de la ville, où s’étaient rassemblés les sympathisants de l’exécutif.

Des étudiants se protègent derrière un bouclier pris à la police à Caracas, le 12 mars 2014 (AFP / Juan Barreto)

A un moment, les jeunes ont réussi à s’emparer de plusieurs boucliers de la police et s’en sont servis pour se protéger des grenades lacrymogènes. Et là-dessus, voilà qu’apparaît un gars portant le célèbre masque des Anonymous. Un déclic au bon endroit, au bon moment.

Une fois de plus, le Venezuela se retrouve au centre de l’actualité mondiale. Comment je vais ? Je suis fatigué, très fatigué. Mais cela a du bon. J’apprends. Je sais que malgré les poussées d’adrénaline, il ne faut jamais paniquer. Une mauvaise décision peut s’avérer fatale.

Echaufourrée entre étudiants et policiers à Caracas, le 12 mars 2014 (AFP / Juan Barreto)

J’ai pris beaucoup de photos aux environs de la place Altamira, l’épicentre des protestations de rues qui ont transformé ce quartier de la ville en véritable champ de bataille. Mais parfois, en quelques minutes, il faut se transporter dans un autre scénario, aller dans les quartiers chavistes ou assister aux dizaines de manifestations progouvernementales.

Affrontements à Caracas le 12 mars 2014 (AFP / Juan Barreto)

Au début, les manifestants étaient des étudiants. Maintenant on voit aussi des vieilles dames ou des vendeurs de hot-dogs. Certains exigent la démission du gouvernement. D’autres en ont assez des problèmes d’approvisionnement, des queues dans les supermarchés ou des loyers trop chers. Vers où allons-nous ? Je ne sais pas. Comment tout ceci va-t-il se terminer ? Je l’ignore.

Mais quoiqu’il arrive, quelque chose va changer.

Manifestation antigouvernementale à Caracas, le 22 février 2014 (AFP / Raul Arboleda)

Juan Barreto est un photojournaliste de l’AFP basé à Caracas.

Juan Barreto