A travers le Zimbabwe

Harare -- Je me souviens bien du moment où, assis dans le bureau de l’AFP à Harare, au soir du 21 novembre 2017, j’ai entendu les cris de joie dans la rue à la nouvelle que Robert Mugabe avait finalement été chassé du pouvoir. Un moment extraordinaire dans l’histoire postcoloniale africaine.

J’y suis retourné récemment, pour un reportage de 1.000 km en voiture, depuis la capitale en traversant le centre agricole du pays jusqu’à sa deuxième ville Bulawayo et puis vers le sud, jusqu’à la frontière avec l’Afrique du sud à Beitbridge.

Le but de ma mission, enquêter sur le « redémarrage » agité du pays et trouver des histoires sortant des chemins battus et du cirque politique d’Harare.

Un ancien wagon a été transformé en guichet à billets et installé dans un champ à côté du nouveau township de Cowdray Park, à Bulawayo, au Zimbabwe, le 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

Pour mettre pleinement à profit l’octroi inespéré d’une accréditation je me suis mis en équipe avec le photographe basé à Bulawayo Zinyange Auntony et la JRI sud-africaine Maryke Vermaak.

Nous avons loué un pick-up blanc à l’aéroport de Harare, récupéré nos accréditations et pris la route du sud-ouest vers Bulawayo.

A la gare de Bulawayo, des passagers achètent des tickets pour le train de banlieue desservant Cowdray Park et les township avoisinant, le 28 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

Non loin de la capitale, l’effet de la politique de saisie des terres agricoles imposée sous Mugabe il y a presque 20 ans m’a sauté aux yeux.

Les vieilles et grandes fermes commerciales détenues par les blancs sont maintenant souvent abandonnées, si ce n’est pour des habitations aux toits de chaume accompagnant une culture de subsistance, avec de petits champs cultivés à l’aide de charruées tirées par des bœufs.

Nous avons roulé sur la route principale du Zimbabwe, qui est en bon état, mais où le trafic est maigre à cause d’une pénurie chronique d’essence et d’une hausse brutale de son prix par le gouvernement, qui a provoqué des manifestations violentes.

Des écolières se font des tresses, près de la ligne de chemin de fer, en attendant le train à Cowdray Park, le 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

Les rares véhicules sont soit des camions, soit des 4x4 de luxe roulant à tombeau ouvert ou des cars avec des soldats chargés de s’assurer que le tarif subventionné de 1 dollar est bien respecté.

Presque toutes les stations à essence étant à sec, nous avons craint de ne pouvoir faire le plein, avant de réaliser que celui que nous avions fait en diesel tiendrait jusqu’à Bulawayo.

Train de banlieue, Bulawayo, 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)
Bulawayo, 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

 

La question de la pénurie a été rapidement replacée dans son contexte à notre première halte, dans l’ancienne ville minière de Kadoma, un des foyers de la contestation en janvier qui a provoqué une réponse brutale de l’armée et de la police.

Nous avons interviewé des adolescents battus par la police et des activistes de l’opposition, mais notre rencontre la plus intéressante a été avec quelqu’un de « l’intérieur », un gardien de prison. Nous avons obtenu l’entretien, qui était risqué pour lui, grâce à une série de contacts depuis Johannesburg.

Après un discret signe de reconnaissance dans le parking d’un garage, nous avons suivi sa voiture sur des rues sinueuses avant de nous arrêter sur un bas-côté herbeux.

Il nous a rejoint et s’est assis à l’arrière de notre voiture, en refusant de donner son nom, avant de nous raconter comment les civils arrêtés par les forces de l’ordre étaient maltraités.

Des passagers débarquent d'un train de banlieue à la gare principale de Bulawayo, le 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

Uniquement motivé par son sens de l’injustice, il nous a décrit calmement comment les détenus, dont des mineurs, recevaient peu de nourriture, dormaient à la dure et étaient transférés par camions au tribunal pour des comparutions expéditives avant de se voir refuser une libération sous caution.

Il ne nous a rien demandé, ni argent ni cadeau, et a disparu ensuite. De toutes les conversations que j’ai eu au Zimbabwe c’est la voix douce du gardien de prison que je garde à l’esprit, un homme courageux qui voulait juste une chance de dire ce qu’il avait sur le cœur.

Devant les restes du bureau local du parti au pouvoir, le ZANU PF, brûlé dans un incendie, dans le quartier Kadoma du township Rimuka, le 24 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

Soucieux de ne pas attirer l’attention sur ceux qui ont bien voulu nous parler, nous avons continué jusqu’à Kwekwe pour nous installer dans une résidence anonyme accueillant les visiteurs en affaire avec les mines toutes proches.

Puis nous avons repris la route, en passant par Gweru, au milieu du Zimbabwe. Le Midlands Hotel, s’il domine encore le centre de la ville avec sa grandeur passée, tombe en morceaux et peine à accueillir des visiteurs.

Nous pensions, à tort, que les barrages routiers seraient un véritable problème, mais les soldats de la 5è Brigade, visiblement morts d’ennui, se tenaient en retrait en laissant le chemin libre à tous.

Un des problèmes récurrents de la vie au Zimbabwe, - où le dollar américain est roi- , est la multiplicité des taux de change que chacun doit garder en tête.

Lilian, vendeuse, attend les clients dans un magasin du township de Rimuka, le 24 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

Dans un restaurant à la mode de Harare, je me suis retrouvé avec une note de 23 dollars pour un hamburger végétarien.

J’aurai dû traverser la rue, et obtenir d’un des omniprésents changeurs de devises 23 dollars en « billet obligataire » local pour la somme de 7 dollars américains.

C’est illégal, mais très répandu, et un symptôme supplémentaire du trou noir économique dans lequel se trouve plongé le pays depuis des décennies. Et je ne me risquerai pas à tenter de vous expliquer ce que sont les taux « ecocash », le système RTGS, les « zollars » ou encore les comptes « nostro », qu’il vaut mieux maîtriser quand on navigue dans la jungle des devises.

Le jour où j’ai présenté deux billets en dollars américains à un péage routier la caissière s’est exclamée que c’étaient les premiers billets vert qu’elle voyait depuis des mois.

Avec une économie dans un tel état, nous avons justement rapporté quatre histoires allant à contre-courant : la résurrection du dernier train de banlieue du pays, une usine fabriquant à la main des chaussures vendues dans le monde entier, une brigade de sapeur-pompiers d’une rare efficacité et un club de gym informel qui rassemble ses membres au petit matin sur la route menant à un township.

Un employé prépare du cuir à la tannerie Prestige Leathers, à Bulawayo, le 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)
A la tannerie Prestige Leathers, Bulawayo, 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

 

Autant d’histoires inspirant un espoir pour l’avenir du Zimbabwe, mais rappelant aussi à quel point la résilience reste indispensable à la vie quotidienne.

Bulawayo est elle-même une ville au potentiel gaspillé : avec une architecture art déco et coloniale à la gloire fanée, des zones industrielles délaissée, un hippodrome à l’abandon, une économie informelle de vendeurs de rue et d’hôtels vides.

A la nuit tombée nous nous sommes retrouvés les seuls hôtes du club de Bulawayo, fondé en 1895, errant entre sa bibliothèque, sa salle de billard, le bar et le restaurant à colonnes.

Des jeunes gens font de l'exercice sur un pont près du township d'Emakhandeni, le 27 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)
Près d'Emakhandeni, 27 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

 

L’endroit fonctionne aujourd’hui plus comme un hôtel que comme un club pour gentleman, son passé distrayant ou choquant le visiteur.

Un livre relié de cuir recensant les plaintes des anciens membres est ouvert dans le lobby.

« Il y avait encore une femme en pantalons dans la bibliothèque ce matin », grogne un anonyme en 1999.

Une des grandes attractions touristiques du continent africain s’étend juste à la sortie de la ville. Le parc national de Matobo, avec ses rochers en équilibre, ses drôles de collines en forme de dos de baleine et le panorama s’étendant autour de la tombe du héros de l’Empire britannique dans la région, Cecil Rhodes.

Emmanuel Sibanda, 25 ans, ingénieur en mécanique, fait son exercice quotidien sur le bord d'une route du township de Emakhandeni, près de Bulawayo, le 27 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)
Des jeunes font leur exercice quotidien le long d'une voie ferrée proche du township d'Emakhandeni, le 27 janvier 2019. . (AFP / Zinyange Auntony)

 

Un guide du parc nous a assuré que le nombre de touristes étrangers avait bondi depuis la chute de Mugabe en 2017.  Mais ce boom s’est évaporé quand le pays a attiré l’attention avec la répression violente des opposants au régime, la pénurie de carburants et le chaos économique.

En repartant au sud vers la frontière à travers la province aride et extrêmement pauvre du Sud Matabeleland, la joie de rouler sur une route au Zimbabwe était tempérée par le sentiment de gâchis d’un beau potentiel sous le règne de Mugabe, et par la crainte sourde que les problèmes du pays soient loin d’être terminés.

Des gens attendent d'acheter des billets de train, à Cowdray Park, le 29 janvier 2019. (AFP / Zinyange Auntony)

 

Ben Sheppard