Syrie : dans l’hôpital de l’horreur
DOUMA (Syrie), 12 novembre 2014 – Douma, où j’habite, est un bastion de la rébellion syrienne. C’est une ville de 200.000 habitants située dans la banlieue nord-est de Damas, qui est assiégée depuis plus d’un an par les forces loyales au président Bachar Al-Assad. Des bombardements d’artillerie ou des raids aériens et terrestres nous frappent pratiquement tous les jours. Douma est située dans le secteur de la Ghouta, tenu par l’Armée syrienne libre et attaqué à l’arme chimique par le régime en août 2013.
L’ « hôpital » où j’ai pris ces images a été improvisé dans le sous-sol d’un immeuble. Il est géré par le Bureau médical unifié de Douma, un organisme créé en 2013 pour coordonner les cabinets médicaux et hôpitaux privés du coin. Cet hôpital reçoit les blessés de guerre provenant de toute la Ghouta. C’est une sorte de centre de tri : les cas légers à moyens sont pris en charge sur place tandis que les blessés les plus graves, et ceux qui nécessitent une opération chirurgicale, sont envoyés ailleurs.
Je me rends à cet hôpital à chaque fois qu’un bombardement intensif ou qu’un raid aérien se produit à Douma, pour prendre des images des conséquences de ces attaques. Parfois, je débarque en plein cauchemar, avec une cinquantaine de blessés ou plus qui s’entassent dans le petit dispensaire dans un climat de colère et de peur. Il est alors très difficile de prendre des photos. Souvent, je m’arrête de photographier parce que la scène que j’ai sous les yeux est vraiment trop atroce.
L’hôpital manque cruellement d’équipements et de médicaments. Les médecins et soignants s’efforcent malgré tout d’y maintenir des conditions d’hygiène minimales. Comme les blessés n’arrêtent pas de déferler, le personnel médical est constamment épuisé. Il leur arrive de travailler 48 heures d’affilée sans dormir lors des attaques les plus sanglantes.
Parmi tous les blessés que j’ai photographiés ces derniers mois, celui qui m’a le plus marqué est Ahmed. Il a dix-sept ans et a été grièvement blessé à la main dans un raid aérien il y a plusieurs mois. Les médecins jugeaient l’amputation de ses doigts inévitable, mais lui a refusé. Il disait qu’il gardait espoir, qu’un jour sa main irait mieux et qu’il pourrait de nouveau l’utiliser, qu’il pourrait écrire... Mais maintenant, sa main s'est gangrenée, et il n'échappera sans doute pas à la mutilation.
A chaque fois que je me rends dans cet hôpital, j’en ressors avec des sentiments différents. Parfois c’est la peur qui prédomine. Parfois, c’est la tristesse. Personne ne peut s’habituer à des scènes pareilles. Les blessés se suivent et, souvent se ressemblent, mais à chaque fois le choc est aussi violent. Parfois, en rentrant, je passe des heures en silence. Je suis incapable de parler à qui que ce soit. Je me sens déprimé, et les images horribles restent gravées dans ma tête pendant des heures.
Ce que je supporte le moins, c’est de voir la douleur des gens qui ont perdu un proche. En général, je m’abstiens de photographier ces scènes par respect pour eux. Je sais exactement ce qu’ils ressentent. Dans cette guerre, j’ai perdu un de mes frères.
Abd Doumany est un collaborateur occasionnel de l’AFP basé à Douma, en Syrie.Version en arabe ici
Un enfant pleure en regardant son père blessé, le 9 septembre 2014 (AFP / Abd Doumany)